Six mois après les votations contre les minarets, il peut être utile de nous livrer à une réflexion moins passionnée et plus sereine sur ce sujet.
D’abord pour dire que la décision d’interdire les minarets en Suisse reste grave, aussi certainement que l’affirmaient déjà les représentants de la plupart des partis politiques, ainsi que les membres de notre gouvernement. Rappelons l’avis du Conseil fédéral et du Parlement : « L’initiative est en contradiction avec de nombreux droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale et porte atteinte aux droits de l’homme. » (Confédération suisse, votation du 29 novembre 2009)
C’est ce que nous pouvions lire à la veille des votations, et le résultat ne change rien à cette appréciation. Où en sommes-nous aujourd’hui ? A-t-on vu les partis qui défendaient vaillamment les musulmans et s’offusquaient de cette forme de discrimination religieuse poursuivre leurs efforts et marquer avec détermination leur volonté de réparer une telle erreur ?
Que non ! En climat démocratique, le nombre étant la loi, il faut se soumettre à la voix des urnes, même lorsque cette voix se fait l’écho des émotions, des peurs, et non pas l’écho de la raison et de l’équité.
Mais il y a pire. Au lieu de mener ce combat tambour battant, la brèche de l’islamophobie a grandi, et ses attraits sont tels que beaucoup se sont laissé séduire. Ce vote, qui a étonné tout le monde, a mis en évidence combien il est juteux pour un parti politique de se servir de la peur de l’islam pour rallier des voix inexistantes en dehors du registre des idées reçues.
Aussi vrai donc que le péril représenté par les minarets missiles est une pure affabulation, il convient de mettre en perspective d’autres cibles et d’autres dangers à venir. Les femmes en burqa ne menacent-elles pas la République voisine et la Belgique ? Des observateurs attentifs mettent cependant en évidence le fait que le voile intégral islamique sert aujourd’hui à cacher les vrais problèmes que sont la crise financière et le chômage (lire à ce propos Le voile islamique et l’impuissance politique, de Jean-Noël Cuénod, Tribune de Genève, 29 avril 2010).
La stratégie adoptée par le Président Sarkozy, consistant à reprendre à son compte les thèmes chers à l’extrême droite pour se faire élire ou pour faire diversion, est prise comme modèle. Le vote argovien contre la burqa auquel se sont ralliés les partis de droite le confirme. Les dernières déclarations d'Eveline Widmer-Schlumpf, prétextant l’argument sécuritaire, cachent une même tendance au populisme.
Certains n’hésitent pas à verser dans la discrimination la plus pure pour séduire leur futur électorat. Ainsi, on apprend que les libéraux-radicaux s’engagent contre l’extrémisme islamique. Pour ce faire, les prédicateurs de toutes les communautés religieuses seront invités à s’exprimer dans l’une des langues nationales. Toutefois, précise Christian Lüscher, il ne sera pas exigé une traduction simultanée de la messe en latin, car bien entendu, c’est l’extrémisme musulman qui est visé !
Magnifique attention qui nous rappelle qu’un imam n’est pas un prêtre, tout comme un minaret n’est pas un clocher !
Il est donc grand temps que les partis se ressaisissent et refusent de remettre en cause les droits humains les plus fondamentaux.
La ségrégation religieuse n’a pas sa place dans le monde civilisé. Toute dérive doit être dénoncée. Toute volonté de stigmatiser les musulmans doit être condamnée.
Hani Ramadan
Tribune de Genève
L’invité
11 mai 2010