UNE RENCONTRE A PARIS
Le 29 août dernier, je me trouvai de passage au siège de l’UOIF où j’avais été invité pour un exposé à l’occasion des nuits du ramadan.
Au deuxième étage de cette institution, je me suis retrouvé seul face à un homme étonnant, qui n’avait rien d’un intégriste enturbanné et barbu, Raymond.
Retraité, il était assis et donnait un coup de main à la communauté musulmane, en mettant patiemment mais avec conviction du courrier sous enveloppes.
Nous avons parlé de tout, et étant un Français de pure souche, la conversation en vint naturellement à son cheminement et son parcours personnel.
En 1942, me dit-il, il avait six ans, et habitait Belleville, dans la région parisienne.
Les 16 et 17 juillet 1942, plus de 13 000 juifs sont arrêtés par la police française, et emmenés au Vélodrome d’Hiver, avant leur déportation vers les camps de la mort. Deux souvenirs marquants lui sont restés : d’abord celui de ses petits camarades juifs qui du jour au lendemain avaient disparu, sans laisser de trace. Leurs jeux innocents avaient déserté la rue des Rosiers.
Et puis surtout, me dit-il, « j’ai entendu le cri effroyable d’une femme. Je n’oublierai jamais ce cri. »
Que s’était-il passé ? Séparait-on dans des conditions infâmes une mère de ses petits ? S’autorisait-on déjà des formes d’humiliations terribles, dans les locaux de la police française, avant ce qui devait hélas se produire dans les camps de concentration ?
Le cri était épouvantable. Et le fait de ne pas en connaître l’exacte cause ajoutait au dégoût qu’inspirent le nazisme et la collaboration, un sentiment de révolte contre la barbarie humaine. Comment de telles choses ont pu se produire dans le pays de Victor Hugo, il y a moins d’un siècle et bien après les prétendues Lumières ?
Suite à cet échange, je me suis renseigné et j’ai appris qu’ « une cérémonie s’était tenue le 19 juillet 2009 au Monument commémoratif de la rafle du Vél’ d’Hiv’ à Paris, au square de la Place des martyrs juifs du vélodrome d’Hiver. La commémoration était organisée avec le soutien de la commission du souvenir du CRIF, en présence notamment du Secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, Hubert Falco et de David de Rothschild, Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des Juifs de France (CRIF), de Mme Simone Veil au nom de l’Union des Déportés d’Auschwitz, Bertrand Delanoë, maire de Paris, du cardinal Vingt-Trois et de Jean Tibéri. »
J’ai appris également que pour ces juifs, la solution finale débutait là, « à cinq cents mètres de la tour Eiffel, dans ce Vélodrome où l'on entasse treize mille personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards, sans sanitaires suffisants, sans nourriture, sans intimité ni endroit pour dormir et avec pour toute réponse à leurs cris de colère et de détresse un peloton de gardes républicains armés et résolus. »
Des témoignages qui attestent l’atrocité de ces faits, nous en trouvons un nombre considérable dans les livres d’histoire.
Mais pourquoi la parole de mon interlocuteur est-elle si vive ? Pourquoi les quelques mots qu’il me livre ont plus de poids pour moi qui l’écoute avec attention ?
Le cri d’une femme. Et à ce cri fait écho toute la douleur du monde. Les hurlements des mères palestiniennes devant les corps de leurs enfants mutilés, brûlés, massacrés. Le désespoir des familles devant leurs maisons entièrement détruites. La prison à ciel ouvert qu’est devenue la bande de Gaza…
Aujourd’hui.
Comme s’il rejoignait ma pensée, Raymond me dit : « Ils ont souffert. Ils ne devraient pas faire souffrir à leur tour les Palestiniens. »
J’ai rencontré Raymond au siège de l’UOIF, l’Union des organisations islamiques de France.
Il s’est converti à l’islam.