par Yvonne BERCHER
Dans le documentaire de Dror Moreh, The Gatekeepers, sorti à la veille des élections israéliennes, six anciens directeurs du Shin Bet (services secrets israéliens également appelés Shabak, dont la mission principale est de protéger le pays contre les attaques terroristes) désignent les errements de la politique israélienne en Palestine.
Les scissions internes qui minent le petit Etat juif apparaissent aussi dans leur effarante ampleur.
Dans ce film parfaitement construit, dépouillé, mais percutant, des images qui vous interpellent et vous poursuivent, on découvre les visages et les noms de ceux qui, maintenant désabusés, mais dignes, s’étaient engagés par idéal. Après des années passées au service d’actions qui ont blessé leur humanité, des hommes nuancés, dotés d’une véritable vision, livrent leur discours. Yuval Diskin avait onze ans au moment de la guerre des Six Jours. Aujourd’hui, avec une sobriété qui accroît encore l’impact de ses propos, il relève : « Vous vous dites : bon, j’ai pris ma décision, tant de personnes ont été tuées, on était absolument certain qu’elles allaient commettre un grave attentat (…) Et pourtant, vous vous dites qu’il y a quelque chose de pas naturel dans cette situation. Et ce qui n’est pas naturel, c’est le pouvoir que vous avez de prendre trois personnes, même si ce sont des terroristes… et de leur ôter la vie comme ça, en une fraction de seconde. »
Pris en tenaille entre une droite orthodoxe fanatique et des dirigeants qui les laissent choir après les avoir exposés à des missions périlleuses, ils évoquent le contexte des événements de ces dernières années.
Il s’en est fallu de peu pour que des conjurés issus de milieux conservateurs, proches du pouvoir, ne fassent exploser le Dôme du Rocher. Neutralisés in extremis par le Shin Bet, qui fut comparé aux joyaux de la couronne juste après cette opération, ils ne tardaient pas à bénéficier de grâces et retrouvaient les postes qu’ils occupaient, voire même, gagnaient du galon. Une insulte pour ceux qui, sincèrement, s’étaient investis et exposés pour éviter ce carnage…
Utilisation des techniques les plus performantes, recours à des agents infiltrés, à la torture, débarquements au milieu de la nuit chez des familles palestiniennes, rien n’est occulté. Et c’est sur un constat d’échec de la méthode forte que ce conclut ce documentaire magnifique. Tel un refrain apparaît ce que l’on ne répétera jamais assez : le terroriste des uns est le résistant des autres.
Et comme disait Clausewitz, la victoire est la capacité de créer une réalité politique meilleure. Seuls le dialogue, la concertation et une bonne connaissance des mentalités peuvent y parvenir. Là-dessus, les six acteurs sont unanimes.
On peut imaginer les tensions internes qui ont permis qu’un tel film, acte symbolique d'une grande force, puisse voir le jour, faire le tour de la planète et interpeler les consciences. On peut enfin et espérer que l’on se trouve à un tournant de l’histoire et que la chance soit enfin saisie de prendre la bonne direction.
Ce film, qui a passé sur une chaîne suisse, la RTS 2 le 3 mars, et sur Arte le 5 du même mois, a aussi fait l’objet d’un article fouillé dans le mensuel La revue N° 30.
Yvonne BERCHER.