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Manifeste pour un nouveau «Nous»

 «Vous avez un formidable devoir de résistance intellectuelle contre tous les populismes!» Voilà l’essentiel du message délivré par Tariq Ramadan le 3 mai dernier à l’université de Genève.

 

L’Association culturelle des femmes musulmanes et l’Institut culturel musulman suisse, avec la collaboration du Centre islamique des Eaux-Vives, à Genève, avaient organisé cette manifestation. Un auditoire jeune et passionné buvait les paroles de l’orateur. La salle était pleine à craquer.

De Denis de Rougemont à Ibn Taymiyyah, en passant par Foucault, Bourdieu, Naomi Klein, Shinkel et Nietzsche, un florilège de références très éclectiques appuyait la portée universelle du propos de Tariq Ramadan.

À quelle analyse et à quelle attitude nous invitait ce philosophe, citoyen du monde qui ne se contente pas de décrire, mais qui œuvre et prescrit de s’engager pour la dignité humaine?

Une appartenance sujette à caution

Quand est-ce que nous disons Nous ? Et quand est-ce que nous exprimons une appartenance ?

Alors qu’auparavant, le  «Nous» se fondait dans la légalité, sur la notion d’État nation, il se base depuis quelques années de manière informelle sur un comportement, une allégeance démontrée à la culture dominante. On assiste en effet à l’émergence d’un nouveau type de citoyenneté, sujette à question, voire à caution : celle du ressortissant d’origine étrangère, qui, même s’il dispose de la nationalité, devra toujours prouver son adhésion. Alors que l’immense majorité des musulmans respecte la loi, ce n’est plus à ce niveau uniquement que se situe la donne. Ainsi, ce citoyen de seconde zone, convaincu qu’il représente «l’autre», est installé malgré lui dans une position défensive, car il n’est pas intégré à l’image que la société se fait d’elle-même. La nationalité, notion à l’origine juridique, devient par glissement un concept moral, comportemental.

Comment démasquer, comment débusquer le populisme ?

Le populiste fonctionne sur l’exclusion. Pour discréditer l’autre, il le place, le projette «à l’extérieur». Tous les populismes jouent sur la problématique de l’identité. «Vous savez qui vous êtes en sachant à qui vous vous opposez». C’est ainsi que s’enracine le piège de la pensée réactive, notamment à l’islam, perçu en opposition. Dans cette appréhension binaire, on oppose le «nous» à «eux», perçus «contre nous.»

Des situations complexes, par exemple le chômage, ne peuvent qu’appeler des réponses simples, taillées à la hache. Cette arithmétique élémentaire se fonde sur l’émotion, et sur une position victimaire, qui développe les peurs : «nous sommes en danger». En cela, elle utilise les moyens multiplicateurs de la réactivité. L’opposition d’arguments rationnels, de statistiques, ne peut rien y changer et le pouvoir médiatique se nourrit de cette tyrannie de l’émotionnel. C’est ainsi que certains ont pu soutenir, avec succès, que le minaret cachait la forêt des minarets à venir, amenant ainsi une majorité de Suisses à accepter une initiative liberticide et à voter contre les minarets.

La vieille Europe, dont le déclin et la déconfiture économique pourraient expliquer cette propension catastrophiste, n’est de loin pas seule en cause. Le monde entier est concerné. Même en Chine, on observe l’émergence de mouvements d’extrême droite stigmatisant leurs concitoyens. Certaines appartenances identitaires deviennent meurtrières.

Sur quoi fonder le «Nous» ?

Établir un nouveau «Nous» implique de savoir très précisément contre quoi on lutte, et celà sous-entend un travail critique de chaque instant sur nos propres perceptions. «Plus vous êtes ignorants sur vous-mêmes, plus l’autre devient un danger.»

Mais qu’est-ce qui fait qu’en termes sociaux, économiques, religieux, politiques…, nous pouvons dire nous ? Quels sont les éléments constitutifs de cette appartenance ?

Lorsqu’on participe aux mêmes principes, aux mêmes valeurs, lorsqu’existe une communion intellectuelle et spirituelle, lorsqu’on partage le même sens, le «Nous» peut s'épanouir.

Ce sentiment se base également sur une mémoire, sur un rapport commun au passé. Mais l’histoire est en partie une construction idéologique. Elle comporte un versant objectif et un versant subjectif, fondé sur les connotations, les mythes.

Ce «Nous» s’ancre enfin sur une perception commune de l’avenir. On juge l’appartenance selon la contribution des acteurs, qui deviendront ainsi des protagonistes de l’histoire qui s’écrit.

Un devoir de résistance et une compétition pour le bien

«Une des plus grandes résistances au populisme, c’est la pensée philosophe critique». Ennemi de toutes les paresses, Tariq Ramadan exhorte à un éveil sans trêve ni relâchement, car l’idéologie de l’émotionnel se fonde sur la perte de l’esprit critique. Il s’agit de reconnaître ce qui compose l’imaginaire collectif, de déterminer où se situe la mémoire de l’individu dans l’histoire commune. Se positionner dans cette histoire, comprendre précisément d’où l’on vient représente un devoir. Ne laissons pas s'écrire une histoire dans laquelle notre mémoire n’est pas intégrée et luttons pour empêcher certains idéologues de réduire le passé à un monopole,et de se l’accaparer.

La vérité s’établit également dans le rapport que l’on entretient à la méthodologie, une relation claire, organisée et rigoureuse.

Dire «Nous», c’est dégager des principes universels communs et s’affirmer majoritaire dans ses principes, dans le respect de la dignité humaine. Lorsqu’en Syrie, tous les jours, 170 personnes sont tuées, lorsqu’en Afrique du Sud, toutes les trois minutes un viol a lieu, c’est l’humanité entière qui est meurtrie. Lorsqu’entre Mayotte et les Comores, des milliers de fugitifs de la misère, embarqués sur de frêles esquifs, périssent noyés chaque année, nous sommes tous concernés. Notre réveil éthique est fonction des catastrophes que l’on veut éviter. En montant en épingle certaines morts, de manière sélective, et en en ignorant d’autres, les médias conduisent à conclure que certaines vies valent plus que d’autres.

Dans cette perspective, les dialogues interreligieux ne peuvent être utiles qu’à condition que leurs acteurs soient dotés de courage, désireux de développer une compétition positive pour le bien.

C’est ensemble qu’il nous incombe de construire l’avenir, et, dans cette optique, les mouvements nationaux d’initiative locale apparaissent comme les plus adéquats. Être dans l’exemplarité, c’est faire correspondre les interventions sociales aux principes.

Yvonne BERCHER.

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