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Les musulmanes ont droit à la liberté religieuse

Opinion

Le Temps, 15 février 2021

Le Temps a largement donné la parole à Madame Saïda Keller-Messahli sur la question du voile intégral. Il n’est pas très difficile de relever les incohérences des propos qu’elle tient, et en voici quelques exemples :

Elle attribue à l’influence des Frères musulmans et de « l’islam politique » le fait que le niqab (voile intégral) soit entré dans les mœurs depuis les années 1970. Or, ni la mère, ni l’épouse, ni les filles de l’imam Hassan al-Bannâ (mon grand-père maternel, fondateur du mouvement des Frères musulmans) ne portaient le niqab. Elles laissaient paraître leur visage.

Cependant, pour tous ceux qui connaissent réellement les sources de l’islam, le fait de se couvrir le visage entre dans les pratiques reconnues d’un grand nombre de savants musulmans, et cela, depuis les premiers temps de l’islam. Une femme peut donc choisir de se vêtir ainsi, en estimant pratiquer au mieux sa religion. Rappelons que la liberté de vivre selon des prescriptions religieuses est inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Remettre en cause ces principes par la voie des urnes n’est envisageable que lorsque la communauté musulmane est visée.

Madame Saïda Keller-Messahli est fondatrice du Forum pour un islam progressiste. Il serait intéressant de mener une enquête pour déterminer qui compose cette structure. Beaucoup de communautés musulmanes, dans leur grande majorité, comprenant des Unions d’organisations musulmanes, mais aussi des membres de Fédérations, estiment que cette dame n’est pas qualifiée pour représenter les musulmans en Suisse.

En fait, elle affirme clairement s’opposer avec la plus grande véhémence au Coran. « Le texte du Coran (sourate 24), pense-t-elle pouvoir dire, considère que le corps de la femme est impudique. Selon le texte, le corps de la femme est indécent et source de péché pour l’homme. » Or, dans cette sourate appelée La Lumière, il n’est question à aucun moment de l’impudicité et de l’indécence dont parle Madame Saïda Keller-Messahli. C’est elle qui projette sur le texte coranique ses propres conceptions, pour les interpréter ensuite de façon négative. Parlant de ce qu’elle croit lire dans le Coran, elle ajoute ainsi : « Cette image du corps de la femme, violemment discriminatoire, est absolument inacceptable. » En d’autres termes, Madame Saïda Keller-Messahli ne s’oppose pas aux Frères musulmans, mais directement au Coran lui-même !

Par ailleurs, selon elle, « cet habit traduit une volonté de déshumaniser la femme musulmane ».  Bien sûr, on peut comprendre la chose pour toutes celles qui sont humiliées, et à qui on refuse dans certains pays une instruction digne alors qu’elles ne sont que des fillettes. Que dire cependant de celles – un très petit nombre en Suisse – qui le portent volontairement ? Pourquoi vouloir les contraindre ? Laissons donc les femmes faire elles-mêmes le choix de leur tenue vestimentaire, sans vouloir leur imposer notre façon de voir.

Rappelons enfin que cette polémique émane du Comité d’Egerkingen, le même qui a fait interdire les minarets en Suisse, contre l’avis éclairé du Conseil fédéral. Ce dernier s’oppose pareillement à cette nouvelle initiative islamophobe de l’UDC, en faisant des propositions raisonnables :   son contre-projet adopté par le Parlement prévoit que « toute personne est obligée de montrer son visage aux autorités lorsque cela est nécessaire pour son identification. »

J’ai un souvenir. Il y a quelques années, j’étais en transit à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris. Il y avait beaucoup de monde. Devant moi, un couple attendait de passer la douane : un barbu et une femme portant le voile intégral. C’est alors que le policier français qui était debout et à qui les passeports étaient remis eut une réaction exemplaire : il orienta très rapidement le couple en faisant un pas de côté, à l’abri des regards de la foule, et la femme découvrit son visage pour être identifiée. On peut ainsi concilier un comportement courtois qui montre que l’on respecte les convictions de chacun, sans renoncer pour autant aux règles assurant la sécurité dans nos sociétés modernes. Hélas, le bon sens n’est pas un ingrédient de la soupe populiste.

 Hani Ramadan

Directeur du Centre islamique de Genève

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