D'après Abû Hâmid al-Ghazâlî
(Deux sermons donnés au Centre Islamique de Genève)
Sache que celui qui est absorbé par la vie et qui est trompé par elle, est nécessairement distrait de l’idée qu’il va mourir. Et lorsque cette pensée lui vient à l’esprit, il la tient en aversion et la fuit.
Il existe par ailleurs trois catégories d’hommes : un homme absorbé par la vie, un homme qui revient à Dieu et entame son chemin vers le repentir, et le connaissant (al-‘ârif) dont la conscience est pleinement éveillée.
- - L’homme qui est absorbé par la vie ne pense pas à la mort. Et quand il la mentionne, ce n’est que pour se lamenter d’avoir à perdre le bien dont il jouit dans ce bas monde. Il blâme alors l’idée de cette échéance. En ce qui concerne cet individu, sa prise de conscience de la mort ne fait que l’éloigner davantage de Dieu, - Exalté soit-Il.
- - Quant à celui qui se repent et revient à Dieu, il se rappelle beaucoup la mort, afin d’éveiller par ce souvenir en lui-même la peur et la crainte, si bien que son repentir est entier et sincère. Il se peut qu’il déteste la mort, par crainte qu’elle ne se saisisse de lui avant d’avoir eu le temps de se repentir et de faire des provisions pour l’au-delà. Le sentiment de rejet qu’éprouve ce dernier pour la mort trouve ainsi une excuse. Il n’entre pas pour cela dans le groupe de ceux que le Prophète (Dieu le couvre de Sa miséricorde et de Sa paix) a désigné en disant : « Celui qui a en aversion de rencontrer Dieu, Dieu a en aversion de le rencontrer. » La raison en est qu’il craint cette rencontre uniquement parce qu’il a conscience de s’être montré négligeant et de n’avoir pas accompli ses devoirs. Il est en cela comparable à celui qui a pris du retard alors qu’il doit rendre visite à l’être aimé, parce qu’il se prépare à cette rencontre de la façon qui entraînera sa satisfaction. On ne considère donc pas qu’il éprouve de l’aversion pour cette rencontre, et le signe qui le démontre est qu’il s’apprête de façon continue à rencontrer son Seigneur. Il n’a pas d’autre préoccupation. Dans le cas contraire, il rejoint la catégorie de ceux qui sont plongés dans la vie de ce bas monde.
- - Quant au connaissant, il se souvient continuellement de la mort, parce que c’est le rendez-vous de la rencontre de l’Aimé ; et lui, il n’oublie pas ce rendez-vous. Ce dernier, dans la plupart des cas, trouve que la mort est trop lente à venir, et il l’aime – il aime la mort – afin d’en finir avec la demeure des pécheurs, et afin d’être transporté dans le voisinage du Seigneur des mondes. Comme l’a exprimé un sage au moment du trépas : « Voici un aimé qui est venu alors que dans le dénuement, nous en avions le plus grand besoin ! »
Ainsi, celui qui se repent est excusé de prendre la mort en aversion, et le connaissant est excusé dans le fait d’aimer la mort et de la désirer.
Il existe cependant un individu qui occupe une place plus élevée que celles de ces deux personnes : il s’agit de celui qui s’en remet entièrement à Dieu et lui confie l’ensemble de sa condition, si bien qu’il ne choisit pour lui-même ni la mort, ni la vie. Bien plus : ce qui pour lui doit advenir, c’est ce qui est le plus aimé de son Maître ! Cet homme est arrivé, du fait de son amour et de son allégeance, à la station de l’abandon confiant à la volonté de Dieu (at-taslîm) et de l’agrément (ar-ridâ), ce qui représente le but et la finalité suprême.
Et d’après Abû Hurayra – que Dieu soit Satisfait de lui – le Messager de Dieu a dit : « Remémorez-vous beaucoup celle qui anéantit les plaisirs. » Il voulait dire : « la mort ». (Hadith authentique rapporté par at-Tirmidhî)
Et d’après Anas – que Dieu soit Satisfait de lui –, on mentionna un homme auprès du Prophète et les Compagnons en firent l’éloge. Le Prophète demanda alors :
« De quelle façon votre compagnon mentionnait-il la mort ? » Ils répondirent : « Nous ne l’entendions pas mentionner la mort. » Le Messager de Dieu reprit : « Votre compagnon n’occupe pas la haute place que vous lui prêtez. » (Hadith rapporté dans l’Ihyâ’, de faible authenticité selon al-‘Irâqî) Al-Hasan al-Basrî a dit : « La mort a confondu le monde en révélant sa réalité, si bien qu’elle n’a laissé à aucune personne sensée la possibilité de s’y réjouir. Un serviteur ne se montre pas assidu à évoquer la mort, sans que ce bas monde soit réduit à peu de chose à ses yeux, et sans que tout ce qui s’y trouve devienne pour lui insignifiant. »
Quand ‘Umar Ibn ‘Abdi -l- ‘Azîz – que Dieu lui fasse miséricorde – mentionnait la mort, il était saisi d’un tremblement comparable à celui des oiseaux. Il réunissait chaque nuit les savants, qui se rappelaient mutuellement la mort et la résurrection, puis qui se mettaient à pleurer, comme s’ils avaient devant eux un mort que l’on conduit en procession funèbre.
Un sage affirmait : « Nous avons tous la certitude que nous allons mourir, et nous ne voyons personne qui s’y prépare. Nous avons tous la certitude que le Paradis existe, et nous ne voyons personne qui agit en vue d’y entrer. Nous avons tous la certitude que l’Enfer existe, et nous ne voyons personne qui en éprouve de la crainte. De quoi donc vous réjouissez-vous ? Et que pouvez-vous donc attendre ? - La mort ! C’est la première chose qui viendra à vous selon l’ordre de Dieu, soit en bien, soit en mal. Or donc, mes frères, marchez vers votre Seigneur de belle façon ! »
Sache, mon frère et ma sœur en Islam que le danger que représente la mort est éminent et imminent. Les hommes ne s’en soucient pas parce qu’ils y pensent très peu, et évitent de l’évoquer. Et quand ils y pensent, c’est avec un cœur distrait, et c’est pourquoi le fait d’évoquer la mort ne produit aucun effet sur eux.
La méthode que l’on peut suivre pour en tirer le meilleur parti, au contraire, c’est d’exposer son cœur à l’évocation de la mort, qui se tient devant chaque homme, à l’exemple d’un individu qui désire voyager dans un désert, ou aller sur mer, il ne pensera qu’à ce périple. Une façon efficace également pour bénéficier du souvenir de la mort consiste à nous rappeler le sort de nos semblables et de nos pairs qui sont déjà trépassés, de nous souvenir de leur mort et de la place qu’ils occupent à présent sous terre.
Ibn Mas‘ûd – que Dieu soit Satisfait de lui – disait : « L’homme heureux, c’est celui qui tire leçon d’autrui. » Et Abû ad-Dardâ’ – que Dieu soit Satisfait de lui – disait : « Lorsque l’on mentionne les morts, compte que tu es comme l’un d’entre eux. »
On doit également fréquenter souvent les cimetières – ceci est valable pour les hommes –, et lorsque l’on observe que l’on commence à s’attacher et à se fier à une chose de la vie, il est bon de penser sur le champ que l’on devra nécessairement s’en séparer. Ainsi, on diminue les vaines espérances que l’on place en cette vie. ‘Abdu-Llah Ibn ‘Umar – que Dieu soit Satisfait de lui et de son père – a dit : « Le Messager de Dieu (Dieu le couvre de Sa miséricorde et de Sa paix ) me prit par l’épaule et me dit : « Sois en ce monde tel un étranger ou un passant. » Ibn ‘Umar disait : « Lorsque tu es au soir, n’attends pas le matin, et lorsque tu es au matin, n’attends pas le soir. Tire avantage de ta santé avant la maladie, et de ta vie avant la mort. » (Al-Bukhârî)
Il a été rapporté que le Messager de Dieu aurait dit : « Ce que je crains le plus pour ma communauté, ce sont la passion et la longue espérance. Pour ce qui est de la passion, elle égare et entraîne l’homme loin de la vérité ; et pour ce qui est de la longue espérance, elle lui fait oublier la vie dernière. » (Hadith rapporté par al-Hâkim, de faible authenticité)
Mes frères et sœurs en Islam,
Il est utile pour nous de nous poser la question suivante, avec le grand imam Abû Hâmid al-Ghazâlî : Qu’est-ce qui conduit l’être humain à se nourrir de vaines espérances et à se projeter dans un avenir qui n’a pas de fin ?
Ce sont essentiellement deux causes : l’amour de ce bas monde, et l’ignorance.
En ce qui concerne l’amour de ce bas monde, on peut observer que lorsque l’homme est attaché aux désirs et aux plaisirs de la vie, et aux relations qu’il entretient, il est difficile à son cœur de se séparer de tout cela, si bien que ce cœur refuse de penser à la mort, qui est la cause de cette séparation. Tout être humain qui a de l’aversion pour une chose la repousse loin de lui. Or, l’homme est préoccupé par de vaines espérances, si bien qu’il nourrit son âme des espoirs qui correspondent à son souhait de demeurer en ce bas monde, lui rappelant sans cesse ce dont il a besoin comme argent, comme habitations et comme amis, ainsi que tout ce qui relève de ses moyens d’existence. Son cœur se consacre alors entièrement à ses pensées, de telle sorte qu’il est distrait du souvenir de la mort, et qu’il ne peut s’en approcher.
Si toutefois la pensée de la mort lui vient à l’esprit dans certaines circonstances et qu’il prend conscience qu’il est nécessaire de s’y préparer, il reporte à plus tard la chose en se promettant d’y revenir. Il se dit à lui-même : « Tu as des jours devant toi, jusqu’à ce que tu atteignes ton grand âge, et alors il sera temps de te repentir. » Et lorsqu’il a atteint son grand âge, il se dit à lui-même : « …jusqu’à ce que tu deviennes un vieillard. » Et s’il devient un vieillard, il se dit à lui-même : « …jusqu’à ce que tu termines la construction de cette maison. Ou que tu restaures tel bien, ou que tu reviennes de tel voyage. » Il ne cesse ainsi de reporter à plus tard sa résolution, préoccupé par sa volonté d’achever une affaire qui en entraîne dix autres, se succédant de façon interminable, jusqu’à ce que la mort se saisisse de lui au moment où il ne s’y attend pas, et alors sa désolation est sans fin !
La plupart des lamentations des gens de l’Enfer viennent du regret d’avoir toujours remis à plus tard ce qui aurait dû être fait sur le champ ! La source de ces vaines espérances est l’amour de ce bas monde, le fait d’en apprécier excessivement la douceur, et l’oubli de la parole du Prophète (Dieu le couvre de Sa miséricorde et de Sa paix ) : « Aime ce que tu veux, tu t’en sépareras ! »
En ce qui concerne la seconde cause, il s’agit de l’ignorance. Elle consiste pour l’homme à prendre appui sur sa jeunesse, et à estimer que l’approche de la mort est très éloignée du fait de la vigueur qu’il trouve en lui-même. Mais n’est-il pas venu à l’esprit de ce malheureux que s’il comptait dans son quartier le nombre des vieillards encore présents, il observerait qu’il ne dépasse pas une dizaine d’individus ? Les autres ne sont plus là, parce qu’il est plus fréquent de mourir dans la force de l’âge.
Les hommes occupent des rangs différents en ce qui concerne la longueur de leur espérance (tûl al-amal). Certains espèrent vivre jusqu’à l’âge de la décrépitude. D’autres ont une espérance qui ne connaît pas de fin, quelle que soit la situation. D’autres enfin ont une espérance très courte.
Il a été rapporté ainsi qu’Abû ‘Uthmân an-Nahdî a déclaré : « J’ai atteint l’âge de 130 ans, et il n’est rien dont je n’aie vu la diminution, sinon l’espérance. Elle est restée telle quelle. »
La femme de Habîb Abî Muhammad a dit en parlant de son mari : « Il me dit : Si je meurs, mandate untel afin qu’il accomplisse la toilette mortuaire, et afin qu’il accomplisse telle et telle chose, et fais telle et telle chose. » On lui demanda : « Ton mari a-t-il vu quelque chose en songe (annonciateur de sa mort prochaine) ? » Elle répondit : « C’est ce qu’il me dit chaque jour ! »
Un homme de bien a rapporté que Ma‘rûf a fait le second appel à la prière et lui a dit : « Avance (pour diriger la prière). » Cet homme affirma : « Si je dirige cette prière, je ne dirigerai pas une autre devant vous. » Ma‘rûf déclara alors : « Tu te dis donc à toi-même que tu vas accomplir une autre prière ? Nous cherchons protection auprès de Dieu d’être la proie d’une longue espérance, car elle empêche d’accomplir les meilleures actions ! »
Ce qui signifie que chaque fois qu’il agit, le croyant doit penser que l’action qu’il entreprend est la dernière, et il doit donc réaliser ce qu’il entreprend de la meilleure façon.
Le Prophète (Dieu le couvre de Sa miséricorde et de Sa paix ) éduquait ses Compagnons afin qu’ils soient habités par le sentiment d’une mort prochaine. ‘Abdu -Llâh Ibn ‘Amr Ibn al-‘Âs – que Dieu soit Satisfait de lui et de son père – rapporte :
« Le Prophète (Dieu le couvre de Sa miséricorde et de Sa paix ) passa devant nous alors que nous réparions une de nos cabanes. Il nous dit alors : « Que faites-vous donc ? » - « Elle est sur le point de tomber et nous la réparons. » Le Prophète reprit alors : « Je vois que ce qui doit advenir (c’est-à-dire la mort) arrive plus vite que cela. » (Abû Dâwûd, at-Tirmidhî)
On retire de ce hadith que l’homme se doit de garder toujours à l’esprit, devant ses yeux, la mort. Il doit avoir conscience qu’elle est plus proche de lui que toutes les choses de la vie qui peuvent l’en distraire.
Nous demandons à Allah de maintenir en éveil nos cœurs par le souvenir de la mort. Allâhumma âmîn !