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Monsieur le Président, je vous fais une lettre…

Président des Français, votre responsabilité est démesurée aujourd’hui, par le fait même que nous savons tous que la politique a pris désormais un nouveau chemin, qui, au-dessus des clivages probablement anciens de la gauche et de la droite, s’affirme dans la volonté d’être efficace et de rassembler les Français pour un avenir meilleur ; et oppose à une vision fermée un regard décidément ouvert et optimiste vers le futur. Les constats suivants s’imposent cependant :

 

Une grande part de votre victoire est due à l’extrême droite: beaucoup d’électeurs ont voté plus contre Marine que pour vous. C’est le cas d’une partie des musulmans de France, qui ont mené à travers les réseaux sociaux et dans leurs assemblées de vastes débats contradictoires pour se déterminer entre l’abstention et vous. Les musulmans ont ainsi conscience que vous personnifiez de façon visible, à présent, le fait que les partis n’ont pas le pouvoir qu’on leur suppose, mais que ce sont la finance et les lobbies qui, politiquement et médiatiquement, ont les moyens de faire qu’un jeune homme brillant de trente-neuf ans accède à la magistrature suprême. Ce qui n’ôte rien au large éventail de vos compétences. Les questions sont toutefois les suivantes : saurez-vous, Monsieur Emmanuel Macron, vous défaire de l’emprise de ces milieux vous limitant aux choix des élites, ou aurez-vous – ce qui nous semble difficilement réalisable – la force de défendre les intérêts de tous les Français contre les oligarchies financières toutes-puissantes ?

 

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Emmanuel Macron, Président des barons de la finance ?

 

Votre discours a été, pendant cette campagne, celui d’un homme largement présidentiable : le caractère raisonnable de vos propos, devant les petits et les grands, ou vous dites avec conviction vouloir établir un juste milieu entre la liberté et l’égalité – entre les extrêmes de la droite et de la gauche – pour réaliser la fraternité, a trouvé un écho favorable dans bien des  cœurs. Lors du dernier débat qui vous opposait à Marine Le Pen, vous avez su habilement ne pas tomber dans le piège qui vous était tendu, car si certains font de la diabolisation de l’islam leur cheval de bataille pour faire parler les urnes, vous avez réagi en homme responsable qui prétend diriger un Etat de droit, et non pas une nation gagnée par l’islamophobie. Soit dit en passant, seule Marine Le Pen pouvait mettre en avant cet argument ridicule consistant à supposer que vous avez établi alliance avec les « islamistes ». Au soir de votre victoire, sachez qu’une représentante du FN a affirmé ouvertement au journal télévisé le plus écouté de Suisse romande, que celle-ci était due aux Frères musulmans !

Bienvenue au club, Monsieur le Président ! Mais soyons sérieux.  L’une des grandes options qu’il conviendra de privilégier, si vous voulez rester crédible, et Dieu sait si l’état de grâce qui suit un vote ne dure pas longtemps au pays des mécontents, consistera à prendre concrètement le parti de la justice, et non pas celui des préjugés. Je suis de ceux qui pensent que les groupes de pression qui sont derrière vous alimentent aussi, comme le FN, à leur façon, une forme d’islamophobie visant à faire des musulmans un bouc émissaire.  L’état de crise économique que nous vivons est certainement dû à la capitalisation des plus grandes ressources entre les mains de monarques bien argentés, que vous connaissez. Or, un authentique Président de la république pourrait engager une œuvre salutaire, par sa volonté d’un partage équitable des biens, par le respect des plus démunis. Mission quasi impossible quand on est un fruit du système. Le contraire, en quelque sorte, de tout ce que vous avez représenté jusqu’à présent.

Mais il faudra aussi s’engager par un dialogue clair et ouvert avec l’islam, qui dans ses pratiques, ne représente pas un danger pour la république. Il vous appartiendra d’aller dans le sens d’une laïcité inclusive, où juifs, chrétiens, musulmans, hommes de toute confession et libres penseurs… pourront vivre dignement au sein de la république. Vouloir interdire à un juif de mettre sa kippa dans l’espace public - proposition soutenue par le FN - est une atteinte aux droits de l’homme, au même titre que le port du voile pour la musulmane qui vit cette pratique religieuse avec conviction. Quant à l'émancipation des femmes, laissons-les en décider elles-mêmes. Elles sont bien assez grandes.

La France a également, pas toujours dans le meilleur sens, une vocation internationale. On vous attend là encore : allez-vous prendre le parti du gouvernement de Benjamin Netanyahou qui poursuit, au détriment des Palestiniens, une politique de colonisation contre le droit international ? Vous avez de façon claire et courageuse dénoncé les atrocités commises en Algérie. Très bien, Monsieur Macron. Cependant, vendre des avions de combat aux militaires putschistes en Egypte, alors que les élus du peuple sont persécutés et en prison, ce ne peut être la mission de la France. N'est-ce pas? Et là, nous ne nous exprimons pas dans le registre de l'histoire, mais cela se passe à l'heure actuelle.

Si la dignité est une valeur appréciable pour tous, comment justifier ce mépris des droits de l'homme Outre-mer ?

Autant, en France, votre rôle devra consister à lutter aussi bien contre l’antisémitisme que l’islamophobie – et nous considérons nous, musulmans d’Europe, que si une synagogue est profanée, si un juif est inquiété parce qu’il est juif, c’est toute la communauté musulmane du pays qui devra se lever pour protéger la synagogue, et plus encore pour soutenir le juif –, autant il vous incombe de donner à nouveau à la fonction présidentielle un éclat fondé sur l’honneur.

Il y a trop de souffrance à Gaza, Monsieur le Président, trop de souffrance dans les prisons du Moyen-Orient. Tout leader, s’il veut préserver l’amour de sa nation, devrait se méfier de certaines alliances qui heurtent le sens de la justice qui habite la conscience des peuples.

 

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Attali, Jérusalem au cœur de la mondialisation

A votre mentor Jacques Attali qui disait quelque jour publiquement que Jérusalem ferait une excellente capitale du monde, il vous incombe de rappeler que la mondialisation ne peut se faire à sens unique, le sens des grandes fortunes…

C’est surtout cela, Monsieur le Président, qui inquiète beaucoup de Français, et pas seulement ceux qui parmi eux sont de religion musulmane !

Cela qui pourrait vous ramener à la case Hollande, au pays où les gloires sont éphémères...

 

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Hani Ramadan

Directeur du Centre Islamique de Genève

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