Jusqu’au bout de l’horreur. Ce sont les termes qui viennent immanquablement à l’esprit lorsque l’on considère le sort réservé à la Syrie depuis six ans. Et ce qui semble le dénouement de ce drame ne nous réserve pas moins d’atrocités que tout ce que nous avons pu observer jusqu’à présent.
Souvenons-nous : Obama, quand il était président, avait mis en garde le régime syrien contre l’usage d’armes chimiques en parlant d’une ligne rouge qu’il ne devait pas franchir. Or, cette limite a été transgressée plusieurs fois, et l’administration américaine n’a pas bougé alors. Mais aujourd’hui, avec Trump, c’est l’armée américaine elle-même qui se permet de faire usage du phosphore blanc pour accélérer « l’annihilation des djihadistes ». Mossoul et Raqqa sont devenus le théâtre de frappes massives (80 000 depuis le début des opérations en 2014), « justifiées » par l’alliance des Américains et des Forces démocratiques syriennes contre Daech. Dans ces régions où des centaines de milliers de Syriens se terrent sous des ruines, les moyens utilisés sont non seulement inappropriés, mais contredisent toutes Conventions qui protègent les civils en cas de conflit.
On apprend à présent que cette coalition, menée par les Etats-Unis, fait usage du phosphore blanc ! L’armée américaine avait utilisé cette arme redoutable à Falloujah en 2004, tout comme l’Etat d’Israël en 2008 à Gaza. Dans les deux cas, on avait d’abord nié catégoriquement la chose, pour avouer enfin un usage qui devait servir seulement à créer des rideaux de fumée dans le cadre d’opérations militaires. Cependant, lorsque l’on connaît la densité de population à Falloujah, à Gaza, et aujourd’hui à Mossoul et Raqqa, il est impossible que ces frappes ne touchent aucun civil. Au contraire, les vidéos et les photos qui nous parviennent actuellement révèlent un usage indiscriminé du phosphore blanc. La ligne rouge est, là aussi, pleinement franchie.
« Les vidéos, affirme Luc Mathieu, ne laissent guère de doute : la coalition internationale a utilisé des munitions au phosphore blanc à Raqqa, fief syrien de l’Etat islamique. » (Libération, 11 juin 2017)
Samah Hadid, directrice de Campagnes pour le Moyen-Orient à Amnesty International, affirme ce 16 juin 2017 : « L'utilisation de munitions au phosphore blanc par la coalition dirigée par les États-Unis met gravement en danger la vie des milliers de civils piégés dans la ville de Raqqa et aux alentours, et pourrait dans ces circonstances constituer un crime de guerre. »
Il n’existe aucun mot pour décrire ces opérations où des hommes s’autorisent à déverser une pluie de feu sur leurs semblables, en ne distinguant, dans la nuit qui couvre le passage des avions, ni femmes, ni vieillards, ni enfants. Que valent donc les vies de 160 000 habitants pris au piège de Raqqa ?
Hani Ramadan
Tribune de Genève
Lettre du jour (extrait), 27 juin 2017