Il faut écouter le pasteur Henry Babel lorsqu’il nous annonce que Genève est destinée à devenir une «cité modèle, un lieu très important de la mondialisation» (voir : «Pour une Genève laboratoire de pensées», interview de Henry Babel, La Tribune de Genève, 12 décembre 2007).
Doyen de la cathédrale Saint-Pierre, homme du dialogue interreligieux, auteur d’ouvrages qui témoignent d’une vaste culture, Henry Babel a été l’un des pionniers du débat moderne de civilisations. Dans les années soixante, il avait rencontré les responsables des diverses communautés religieuses, et il avait invité dans notre cité, devant une salle archicomble, quelques personnalités, dont le grand Rabbin Alexandre Safran, à qui la communauté juive vient de rendre un vibrant hommage ; et dont le Docteur Saïd Ramadan, mon père, qui avait fondé le Centre Islamique de Genève. Les débats étaient ouverts et animés, notamment sur le thème du particularisme national juif, en rapport avec l’universalisme de la foi commune à tous les hommes.
Il y a quelques années, Henry Babel avait répondu à l’ invitation que nous lui faisions de venir «confronter» son point de vue au nôtre – celui des musulmans – sur une question fondamentale : «Quel Dieu adorons-nous?»
* Première surprise, le pasteur Henry Babel commença son intervention en citant un extrait des statuts du Centre Islamique, qui datent de 1961 : «Le Centre Islamique de Genève a la conviction qu'il est temps que tous ceux qui croient en Dieu et à la responsabilité de l'homme envers Lui se rapprochent les uns des autres et réalisent un front unique pour aborder une tâche qui s'impose à tous, mus par la sincère conviction que chacun d'eux sauvegarde ainsi l'existence même de sa religion. Lorsqu'ils sont animés par cette conviction, les croyants adhérant à des religions différentes assument un devoir d'ordre religieux qui les incite à essayer de se comprendre les uns les autres au lieu de se livrer à des polémiques, et à collaborer sur ce qui leur est commun, au lieu de s'attarder sur ce qui les sépare.»
En d’autres termes, M. Henry Babel rappelait à tous qu’il n’était pas venu pour polémiquer, mais pour rencontrer l’autre, et en l’autre, ce qu’il y a de plus humain en lui.
*Deuxième surprise: vint le moment de la prière. Les musulmans se déplacèrent donc vers la mosquée, et nous annonçâmes une pause d’un quart d’heure avant la reprise du débat. Henry Babel nous suivit jusque dans la mosquée. Et là, sans demander une autorisation quelconque, et sans aucune réserve, il se déchaussa, entra et s’assit sur le tapis, au milieu de ses frères croyants.
Personne, parmi notre petite communauté, ne pensa qu’il était ici de trop. Personne ne songea à lui demander de regagner la salle de conférence.
Pour ma part, je ne me suis rendu compte de sa présence qu’au terme de notre prière. Il était là, modestement assis, au milieu de ses frères. S’était-il prosterné avec nous? Avait-il posé son front à terre? Avait-il répété le témoignage de foi : lâ ilâha illa -Llâh : Il n’y a de dieu que Dieu? Je ne saurais vous le dire, et je n’ai même pas pensé à le lui demander.
Il était là chez lui, à Genève, et ce geste appréciable d’amitié entre les hommes valait à mes yeux plus que mille discours!