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Clairement se démarquer de l’inacceptable, option ou nécessité ?

Je reçois cette intéressante lettre, et toute en nuances, de Madame Yvonne Bercher, Dr en droit. Je pense qu’il est utile de la publier sur ce blog, en remerciant son auteur, tout en avançant que certains points méritent d’être discutés.

Cordialement à tous

Hani Ramadan

Clairement se démarquer de l’inacceptable, option ou nécessité ?

Lorsque l’initiative contre la construction des minarets a été lancée, jamais je n’avais imaginé qu’elle puisse aboutir. Quand les résultats sont tombés, j’ai réagi par l’effarement. D’un seul coup, comme citoyenne suisse, je me sentais dépositaire d’une décision basée sur l’ignorance et le rejet de l’autre. Mon premier mouvement, instinctif, fut de me démarquer de ce vote de la honte. À mes amis arabes de Tunisie, du Maroc et de Syrie, j’envoyai quelques courriels faisant part de ma tristesse face à cette victoire de l’obscurantisme. Je me mordais amèrement les doigts d’être restée les bras croisés, sans rien avoir vu venir.

Tous me répondirent avec une grande gentillesse. Ce que je trouvai dans leurs messages réconfortants, je le relis aujourd’hui, sous la plume d’Alaa El Aswany  : « … l’interdiction des minarets en Suisse ne signifie absolument pas que l’ensemble des Suisses prend position contre l’islam. Près de la moitié des votants, ainsi que la totalité des responsables gouvernementaux et des représentants de toutes les églises chrétiennes ainsi que de la religion juive, ont pris avec véhémence, et jusqu’au bout, la défense du droit des musulmans à édifier des minarets. De plus, le résultat du référendum a déclenché dans de nombreuses villes suisses des manifestations de soutien au droit des musulmans de pratiquer leur culte. J’ai moi-même reçu de nombreuses lettres d’amis, intellectuels suisses, qui exprimaient leur profond regret devant la décision prise par les électeurs… »[1]

Après ma réaction spontanée, vint le moment du questionnement. Ma prise de position avait-elle répondu à un devoir moral, aux exigences d’une conscience citoyenne, ou à une manie d’intellectuel ? Fallait-il absolument s'élever publiquement contre l’inacceptable ? S’en démarquer clairement ? Celui qui ne dit mot consent-il vraiment ? Devient-il complice de ce qu’il réprouve ? La même règle vaut-elle pour un individu ou pour un organisme ? Les exactions commises par des Etats dictatoriaux appellent-elle la même réaction et la même fermeté que celles émanant de groupes armés, voire de personnes isolées ?

Dans le dernier bulletin du Centre islamique des Eaux-Vives, à Genève, je lis  : « Des organismes tels que la Cicad et la Licra devraient se démarquer sans tergiversations des crimes commis par le gouvernement israélien, car leur silence, interprété comme une forme d’allégeance, engendre la méfiance et l’hypocrisie, et leur fait perdre toute crédibilité aux yeux des observateurs indépendants. »[2]

Même si je ne puis que comprendre Monsieur Ramadan, auteur de cet article, je serais néanmoins tentée de lui répondre : « Lorsque dans les rues du Caire, une journaliste décemment vêtue est, dans le cadre de sa mission, violée, voire lynchée par de jeunes désœuvrés musulmans, des entités comme le Centre islamique, ne devraient-elles pas condamner fermement ces agissements barbares, même s’ils ne sont pas le fait d’un Etat ? Quand des prétendus croyants saccagent les locaux de Charlie Hebdo, ne pourrait-on pas attendre une prise de distance décidée de la part des organismes musulmans dont les adhérents apprécient de vivre dans un Etat de droit ?

A l’inverse, doit-on vraiment présumer que l’assimilation de toute une communauté à ceux qui défigurent l’islam représente une démarche intellectuelle acceptable et normale ? Doit-on admettre qu’il en résulte un devoir moral de prendre position ? Vu l’ampleur des manifestations de violente intolérance dans le monde et notre facile accès à l’information, ne risque-t-on pas d’aboutir à ce que les organismes les plus variés, comme les simples péquins, consacrent désormais le plus clair de leur temps à désavouer tel ou tel acte, ce qui deviendrait rapidement une occupation à plein temps ?

Sans esprit partisan, la question mérite d’être débattue. Qu’auraient répondu Taha Hussein, Dostoïevski, Neruda, Sartre et Camus, ces figures de proue de l’engagement politique ?

Pour celui qui aime réfléchir, le pouvoir dévastateur des amalgames opère comme un refrain obsédant et infernal. Pourtant, lorsque je lis le consternant hommage de Me Marc Bonnant, avocat brillant à la réputation internationale, à Charlie Hebdo, je suis sidérée par sa méconnaissance du sujet sur lequel il exerce sa verve. « À nos critiques, l’islam répond par la fatwa, les lynchages, le déferlement de foules hurlantes… » De quel islam parle-t-il ? S’agit-il du Coran et de la sunna, ou de tous ceux qui ont adhéré à cette religion ? Et parmi ces derniers, ne faut-il pas encore faire des distinctions ? Entre un soufi et un wahhabite, que ce soit dans leurs convictions ou leur comportement, où se trouve le dénominateur commun ? Comment Me Bonnant, cet être qui a voué sa vie à la passion de la justice peut-il réduire l’islam, que des centaines de millions d’individus pratiquent de manière parfaitement pacifique, à une frange de personnes qui le galvaudent et à ses courants les plus rétrogrades ? Oublie-t-il enfin que, pendant longtemps, les talibans ont pu compter sur l’appui des Etats-Unis, puissance chrétienne, parce qu’ils représentaient un contrepoids à l’Union soviétique, qui avait envahi l’Afghanistan ?

Me Bonnant, chantre du christianisme, omettrait-il pudiquement l’Inquisition, la Révocation de l’Edit de Nantes et la St-Barthélémy ? Pour cet amateur de beaux procès, juger une religion à l’aune de ses débordements me semble décidément un peu court.

Enfin, analyser une réalité sociopolitique à travers le seul prisme des croyances n’épuise de loin pas la question. Les actes de désespérés qui brandissent le Prophète Mohammad comme un drapeau, profanant sa mémoire, expriment avant tout La Haine de l’Occident, cette soif de revanche face à une société conquérante et arrogante, qui a fait du mépris de l’autre un dogme. Alors, l’esprit en paix, relisons Jean Ziegler[3], et adhérons à une valeur nationale, aussi bien chrétienne qu’islamique : la précision, gage d’une rassurante honnêteté intellectuelle. Ainsi, l’on pourra peut-être imaginer qu’un jour, on cessera de devoir sempiternellement se démarquer de ce qui ne vous appartient vraiment pas !

Yvonne BERCHER

Dr en droit.

Genève, le 17 novembre 2011

 

 



[1] El Aswany A ; chroniques de la révolution égyptienne, Actes sud, Paris 2011 pp. 269 – 270.

[2] RAMADAN H ; « Lutter contre la  violence sioniste et condamner l’antisémitisme » In le Temps, du 10 novembre 2011.

[3] ZIEGLER J ; La Haine de l’Occident, Albin Michel, Paris 2008.

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