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Egypte : privilèges et répression

Qu’ont en commun les pétromonarchies saoudienne, koweïtienne, émirienne, l’administration états-unienne, l’Etat hébreu et la junte militaire égyptienne ?

Une volonté d’en finir avec un islam trop engagé, trop populaire, qui remet en cause la stabilité  de la région fondée sur les oligarchies ou les Etats armés : dynasties de roitelets se succédant, domination sans partage de la Palestine par le peuple élu, soutenu sans réserve par la première puissance mondiale, dictature militaire refusant de céder ses prérogatives sur les ressources économiques de l’Egypte.

En fait, il n’y a rien de très nouveau dans ce système qu’on retrouve aussi dans d’autres pays riches d’Afrique. Car l’Afrique est riche. Seule l’a rendue pauvre cette alliance maudite entre les exploitants occidentaux et les élites corrompues qui se partagent ses immenses réservoirs, aux dépens des peuples réduits à la misère. L’établissement d’une authentique démocratie offrirait aussi un modèle à suivre pour l’ensemble de la région.

Cela explique pourquoi il est si important de ruiner le plus rapidement possible les espérances dont était porteur le Printemps arabe. Les révolutions, si elles étaient conduites à leur accomplissement, signifieraient la fin de l’hégémonie des puissances étrangères, et aussi la fin des régimes dictatoriaux.

Force est de constater que le principal foyer de la résistance à l’asservissement et à l’exploitation des masses, est l’islam politiquement engagé. C’est désormais même, internationalement, le dernier rempart contre une gouvernance mondiale qui se dessine petit à petit, fondée sur un élitisme financier impitoyable, pour qui la programmation de génocides peut s’avérer nécessaire lorsqu’elle est perçue comme un moindre mal. Souvenez-vous lorsqu’en 1996, Madeleine Albright est interrogée sur les sanctions contre l'Irak et la mort d'un demi-million d'enfants : « Je pense que c'est un choix très dur, mais le prix - nous pensons que ça vaut le prix. » C’est probablement ainsi que l’on pense lorsque l’on attend des années pour apporter une aide efficace au peuple syrien, par exemple.

Or, si les événements actuels en Egypte comprennent une telle densité, c’est bien parce qu’ils concentrent tous ces enjeux majeurs. Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, les urnes ont désigné un président légitimement élu, issu précisément d’un mouvement réclamant depuis des décennies que soit respectée la volonté populaire. Et malgré l’immense travail de sabotage qui a été mené par l’opposition, encouragé financièrement par les aides saoudiennes et états-uniennes, Morsi est parvenu à engager des réformes sociales de grande envergure, laissant percevoir une avenir meilleur pour le plus grand nombre, dans la perspective d’un partage équitable des biens du pays, et l’acquisition d’une autonomie progressive sur le plan de l’alimentation. Bref, tout ce qui peut remettre en cause la suprématie des élites désormais inquiètes. Il fallait donc intensifier les troubles et créer un désordre sans précédent pour accuser le pouvoir d’être incompétent. Ce qui fut fait : coupures d’électricité, de gaz et de combustible, sentiment d’insécurité alimenté par les milices payées pour semer le désordre, refus de collaborer avec les élus tout en accusant ceux-ci d’exercer une autorité excessive, tout a été entrepris pour conduire le gouvernement à l’échec. Et pourtant, contrairement à tout ce qui a été dit, la popularité de Morsi n’a cessé de grandir. Ceux qui pensent le contraire devraient simplement se rappeler que les militaires n’ont pas jugé opportun d’attendre les élections législatives qui devaient avoir lieu cet automne, et qui n’auraient certainement pas confirmé la nécessité du coup d’Etat.

Quelle a été dès lors la stratégie de ces élites ? Elle a consisté principalement en deux options : désinformer et diaboliser.

Désinformer  en se servant de chiffres fallacieux et d’images aériennes pour justifier l’ingérence des militaires dans la sphère politique. Tous les chiffres donnés sont faux, aussi bien ceux de la pétition du mouvement Tamarrod, que ceux du nombre des manifestants réunis principalement à la place Tahrir. Les anti-Morsi ne dépassaient pas en réalité le million ! L’armée a par ailleurs envoyé ses milices composées de voyous (payés entre 300 et 600 livres égyptiennes par action) pour saccager et brûler les bureaux des Frères musulmans, afin de donner l’impression d’une réprobation populaire générale. Curieusement, chaque fois les caméras de la télévision d’Etat étaient là pour filmer les scènes de vandalisme. Ces mêmes voyous (appelés baltajiyya) ont eu pour mission de brûler des églises pour ensuite faire porter aux « islamistes » la responsabilité de ces actes. Est certes venu ajouter à la confusion le fait que des musulmans ont eu également des réactions inappropriées contre des membres de la communauté copte soutenant le coup d’Etat, et dès lors perçus comme des traîtres. Le témoignage du Père Ayoub Youssef est cependant édifiant : il a accusé sans détour les milices de détruire les lieux de culte. L’armée n’a cessé de mentir en prétendant également que les manifestants portaient des armes. On a vu au contraire comment les civils, poitrines nues, ont été massacrés alors qu’ils exerçaient un droit fondamental : celui de se rassembler et de réclamer le respect du choix des urnes.

Diaboliser dans le but de faire admettre à l’opinion publique bien-pensante ce qui est inadmissible, malgré des manipulations et des injustices aussi flagrantes. Les élus d’hier sont devenus brusquement des terroristes. Cela justifie amplement que l’on tire à balles réelles sur la foule, et que les organisateurs pacifiques d’un sit-in soient brûlés vifs dans leur tente !

Pourquoi tant de barbarie et tant de mensonges ? Pourquoi une répression si forte ? Parce que les élites protègent ainsi férocement leurs privilèges : roitelets, peuple élu et puissances impérialistes dominantes voient dans ces démocraties naissantes la fin de leur projet d’un Moyen-Orient dessiné sur mesure, et l’expression enfin audible de la colère des peuples remettant dangereusement en cause leur souveraineté usurpatrice.

Dites-moi donc après cela qui défend la liberté : les militaires ou les manifestants ?  Et quelle est la posture la plus digne : celle du président Morsi en prison, ou celle du général qui ordonne meurtres et arrestations ?

Hani Ramadan

 

N.B. : Le Monde et Le Temps ont refusé de publier cet article sans donner de raison quant à son contenu.

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