A l’heure où les Frères musulmans subissent non seulement une nouvelle vague de répression, mais sont l’objet de diffamations gratuites, il nous semble utile de proposer les paroles suivantes : le fondateur de cette organisation, qui toute sa vie a œuvré contre la tyrannie et l’oppression, tient un discours édifiant.
Nous espérons qu’il suscitera la réflexion de toutes celles et tous ceux qui ont une vision large du dialogue des civilisations, au-delà des préjugés.
Des prisons
Par Hassan Al-Bannâ
« Dis : « Regardez ce qui est dans les cieux et sur la terre. » Mais ni les preuves, ni les avertisseurs ne suffisent à des gens qui ne croient pas. » (Coran, 10, 101)
La connaissance, l’observation et le savoir constituent la nature première de l’homme, et déterminent sa spécificité. Le jour où Dieu créa Adam, Il lui enseigna tous les noms, ce qui lui conféra une supériorité sur les Anges, qui reçurent l’ordre de se prosterner devant lui, montrant ainsi le respect dû à ce savoir par lequel Dieu à distinguer l’homme.
« Il dit : « Ô Adam, informe-les de leurs noms (les noms de toute chose nommée). Puis quand celui-ci les eut informés de leurs noms, Dieu dit : « Ne vous ai-Je pas dit que Je connais ce qui est caché des cieux et de la terre. Et Je sais ce que vous divulguez et ce que vous cachiez ? » (Coran, 2, 33)
Dieu a rappelé à l’homme la faveur que représentent le savoir et l’enseignement dans le Coran, en disant : « Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. Lis ! Et ton Seigneur est le plus Noble. Qui a enseigné par la plume, a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. » (Coran, 96, 1-5)
Comme Il a dit également : « Le Très Miséricordieux. Il a enseigné le Coran. Il a créé l’homme. Il lui a appris à s’exprimer clairement. » (Coran, 55, 1-4)
Dieu a donné à l’homme les instruments et les moyens du savoir. Il lui a fait don de l’ouïe, de la vue, et du cœur. Il lui a octroyé la raison, la pensée, la maîtrise de ses affaires et la profondeur des sentiments. Il a illuminé son âme supérieure au moyen des lumières des orientations divines révélées par son Seigneur, et au moyen de la foi. Il a créé l’âme avec cette passion ardente de connaître la vérité. (….)
Après tout cela, Il lui a ordonné de se livrer à la recherche et à l’observation, à l’étude et à la réflexion. Il a rendu obligatoire qu’il ne délaisse pas les dons qu’Il lui a octroyés. La raison et la réflexion constituent en effet le fondement de la responsabilité de l’homme et de ses obligations. C’est par elles que les êtres humains se distinguent. L’intelligence et le renvoi à la réflexion sont mentionnés en plus de quarante endroits du Coran :
« Certes, dans la création des cieux et de la terre, dans l'alternance de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue sur la mer chargé de ce qui est utile aux hommes, dans ce que Dieu a fait descendre d'eau du ciel, par laquelle Il a donné vie à la terre après sa mort, et où il dissémina toutes sortes d'animaux; dans la variation des vents, dans les nuages assujettis entre le ciel et la terre, il y a vraiment des signes pour des gens qui raisonnent. » (Coran, 2, 164)
Cependant, l’intelligence humaine, depuis qu’elle a vu le jour, a été soumise à des formes d’emprisonnements forcés, la privant de la lumière, l’empêchant de connaître librement et de s’affirmer ouvertement.
La première de ces prisons consistait dans l’héritage reçu de fables anciennes, de croyances corrompues. Elles s’interposèrent entre l’homme et la possibilité de connaître objectivement les vérités. Elles empêchèrent que soient reconnus ceux qui étaient porteurs de ces vérités :
« Et c’est ainsi que Nous n’avons pas envoyé avant toi d’avertisseur en une cité, sans que les gens aisés n’aient dit : « Nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion et nous suivons leurs traces ». Il dit : « Même si je viens à vous avec une meilleure direction que celle sur laquelle vous avez trouvé vos ancêtres ? » Ils dirent : « Nous ne croyons pas au Message avec lequel vous avez été envoyés ». Nous Nous vengeâmes donc d’eux. Regarde ce qui est advenu de ceux qui criaient au mensonge. » (Coran, 43, 23-25) (….)
Rien n’excuse l’homme de se jeter lui-même dans ces prisons, et de rester incarcéré dans ces lieux de détention. Au contraire, c’est un devoir pour lui de lutter pour s’en sortir, et de suivre la vérité quand son rayonnement se lève, et quand ses preuves et ses indices apparaissent clairement.
Plus étonnantes et plus étranges encore sont les prisons choisies, dans lesquelles des hommes décident de s’enfermer de leur propre gré. Ils enchaînent eux-mêmes fermement leurs propres mains, leurs pieds et leurs cous, et ils considèrent que cela leur apporte le bonheur en ce monde et dans la vie dernière.
Les chefs religieux qui ainsi dominent hardiment les esprits humains au moyen de croyances que Dieu n’a pas autorisées par la Révélation, et de fables qui ne reposent sur aucune référence ou aucune preuve, qui ne sont évoquées dans aucun Livre révélé, ni n’ont été transmises par aucun prophète messager, mais qui ont été purement inventées par leur imagination, et tissées à partir d’hypothétiques conjectures nées de leur égarement ; puis qui ont contraint leurs adeptes à les suivre dans le cadre étroit de ces fausses croyances, et les ont maintenus dans ces limites, et leur ont interdit de considérer toute autre chose, et leur ont caché tout le reste, et se sont interposés entre eux et le savoir et la compréhension, – ces chefs religieux en vérité ont dressé et dressent des prisons spirituelles à des fins et des intérêts personnels. Il est étonnant de voir des hommes entrer volontairement dans ces prisons, et s’y enfermer alors qu’ils disposent d’un libre choix.
Et ces autres leaders qui exploitent les sentiments de confiance, d’obéissance et de respect de leurs peuples, et qui leur interdisent d’exprimer leurs opinions, ou d’exposer leurs impressions, et qui n’acceptent d’eux ni concertation, ni conseil, et qui au contraire considèrent que celui à qui vient l’idée d’agir de la sorte se rebelle contre le pouvoir, renie les droits relatifs à l’imamat, est un traître avec lequel il convient de couper toute relation, un pécheur à qui on trouve de nombreux défauts, et sur la tête duquel il convient de déverser toutes sortes de calamités, – ces leaders sont pareillement des geôliers, qui ont condamné ceux qui leur obéissent à l’incarcération dans des prisons illusoires, bâties sur l’agitation et l’imposture, alimentées par l’exploitation et la manipulation. Il est étonnant d’y voir les gens y vivre heureux, et s’y rassembler volontairement en étant pleinement satisfaits.
Le poète dit en substance :
Les peuples sont les marches qui conduisent aux sommets
Et les ponts que l’on foule pour atteindre l’autre rive
Quant aux chefs et aux dirigeants qui gouvernent par la dictature, et qui répriment les libertés par l’oppression, et qui refusent que l’éclat de la lumière ne touche leurs communautés et les nations dont ils ont la responsabilité, ou que les rayons de la connaissance et du savoir n’entrent dans leurs maisons, ou dans leurs villes et leurs villages, ce sont également des geôliers, qui ont condamné leurs peuples à perpétuité, quand bien même les rues et les chemins se feraient pour eux plus larges, et quand bien même ils les emprunteraient soir et matin pour répondre à leurs besoins, parce qu’ils sont privés de la lumière du savoir et de la joie intérieure de la connaissance.
Il est étonnant qu’une communauté se construise sur une telle oppression, ou qu’un groupe admette une telle humiliation ! Que reste-t-il donc à l’homme de son humanité, lorsqu’il se voit privé de sa spécificité la plus essentielle ?
Ô êtres humains ! Le noble Coran n’est venu que pour sortir les hommes des ténèbres de ces prisons, et pour briser de telles chaînes et de tels carcans, afin qu’ils goûtent avec bonheur le souffle de la liberté spirituelle et intellectuelle, à l’ombre de la connaissance divine qui vient du Seigneur. Aidez-vous donc, pour briser ces chaînes, du savoir et de l’action. Précipitez-vous contre la porte des tyrans injustes. Si vous entrez, vous l’emporterez certainement.
« Et remettez-vous-en à Dieu, si vous êtes croyants. » (Coran, 5, 23)
(Extrait du livre : Sermons du vendredi, présentés par Hani Ramadan, aux éditions Tawhid)