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ISLAM ET LAICITE (SUITE DU DEBAT)

Nouvelles réponses à Jean-Noël Cuénod

Premier point. Je me doutais bien que Jean-Noël Cuénod, afin d’échapper à ses positions contradictoires en apparence, irait dans le sens de distinguer les principes de base de la laïcité de ses diverses applications.

 

Or, j’ai eu l’occasion d’expliquer que si doctrinalement, l’islam ne s’accordait pas avec l’un de ces principes, notamment « la séparation des institutions religieuses et de l’Etat », il restait possible pour les musulmans de vivre dans un espace laïc.

En parlant du vivre ensemble, je m’exprimais donc dans le cadre des diverses applications en question. Et là, Jean-Noël Cuénod aurait très bien pu considérer ma proposition comme relevant d’une analyse de cas sur le terrain, au lieu que d’en faire une affaire de principes. Nous sommes donc, dans le fond, d’accord sur ces distinctions.

Les notions de laïcités exclusive, intrusive, inclusive permettent précisément de renforcer le sens de la séparation entre les institutions religieuses et l’Etat. La neutralité de l’Etat exige qu’il ne s’oppose pas à la libre pratique d’une religion quand elle ne pose pas de problème. Or, le voile, qui avait été porté par une enseignante dans l’école primaire n’avait présenté aucune difficulté pendant des années, jusqu’à ce que des journalistes s’en emparent pour en faire une polémique. Pas plus que les minarets, qui ne représentent une menace que pour nos concitoyens atteints d’islamophobie aiguë.

Lorsque l’on va contre une pratique religieuse, on s’introduit dans la foi de l’autre et l’on ne respecte pas sa conscience. Cela entre précisément en contradiction avec le second principe que Jean-Noël Cuénod évoque lui-même : « le respect de la liberté de conscience ». (Je vous renvoie à l’article Pour une laïcité plurielle, paru dans le Journal de Genève, du 5 décembre 1997, http://www.cige.org/cige/actu/annees_1996-2000/pour_une_laicite_plurielle.html)

Second point. Vous affirmez : « Dans l’esprit de M. Ramadan, il y aurait supériorité du Coran sur la Bible puisque lui seul est issu directement de la parole de Dieu. » Il convient d’être plus précis. Au sujet de la Torah, le Coran affirme :

« Nous avons fait descendre le Torah dans laquelle il y a guide et lumière. » (Coran, 5,44)

« Et Nous avons envoyé après eux Jésus, fils de Marie, pour confirmer ce qu'il y avait dans la Torah avant lui. Et Nous lui avons donné l'Évangile, où il y a guide et lumière. » (Coran, 5, 46)

Ainsi, la Torah, l’Evangile et le Coran sont la parole de Dieu, qui est d’une égale valeur. En revanche, ces textes ont été différemment conservés.

Le fait que seul le Coran nous offre un Livre entièrement préservé ne doit pas nous conduire à une position qui exclut d’emblée le dialogue.

Vous affirmez : « Cette disposition d’esprit nuit au dialogue entre musulmans et non musulmans. Comment entamer un rapport sérieux et honnête si l’on est persuadé d’avoir pour référence la parole divine en direct ? Dans cette optique, les autres ne sont que des êtres errant dans l’erreur, des brebis égarées qu’il convient d’amener à la seule Vérité, celle que Mon Livre détient. Tant que cette mentalité prévaudra chez les porte-parole de l’Islam, le dialogue sera bien difficile, sinon impossible, à développer ».

Je vous livre, en guise de réponse, un extrait de mon livre Islam, source de liberté :

L’Islam assure une liberté complète dans le dialogue interreligieux, qu’il encourage et soutient. L’Islam demande aux musulmans de faire preuve de sens critique et de rationalité dans ce dialogue. Ils doivent développer des thèses convaincantes et opposer l’argument à l’argument, la preuve à la preuve. Le Coran affirme ainsi :

« Par la sagesse et la bonne exhortation appelle (les hommes) à (suivre) la voie de ton Seigneur, et discute avec eux de la meilleure façon. » (Coran, 16, 125)

Le Coran dit encore en s’adressant aux croyants :

« Et ne discutez avec les gens du Livre[1] que de la meilleure façon. » (Coran, 29, 46)

Interpellant les tenants des autres religions, le Coran les invite à renforcer leur argumentation :

« Dis : « Donnez votre preuve, si vous êtes véridiques ! » » (Coran, 2, 111)

Et encore :

« Dis : « Avez-vous quelque science à nous produire ? » » (Coran, 6, 148)

Toujours ouvert au débat constructif, le Coran développe de cette façon une véritable pédagogie du dialogue, où les hommes sont amenés à faire le meilleur usage de leurs facultés intellectuelles. Il ne s’agit jamais d’imposer de façon dogmatique un argument d’autorité et de maintenir son interlocuteur dans l’ignorance, mais bien plutôt de libérer la conscience humaine par un raisonnement individuel et volontaire. Cependant, le Coran va plus loin encore : il engage ainsi les non-musulmans au dialogue en leur laissant supposer qu’il n’affirme pas de façon absolue détenir la vérité, alors que ces derniers seraient nécessairement dans l’erreur :

« Dis : « Qui vous nourrit du ciel et de la terre ? » Dis : « (C’est) Dieu. Et c’est nous ou bien vous qui sommes sur une bonne voie, ou dans un égarement manifeste. » » (Coran, 34,24)

En d’autres termes, ces versets devraient faire réfléchir les musulmans qui assènent leurs vérités de manière péremptoire, et dont tout le discours consiste à dire : « Nous sommes dans la vérité et vous êtes dans l’erreur. Point. » Une lecture attentive du Coran montre beaucoup plus de nuances. La Révélation appelle à la réflexion et au dialogue en laissant le soin aux individus – et en toute liberté – de se forger une opinion sur une question ou sur une autre. Continuellement, le Coran s’adresse à l’être humain pour réveiller sa conscience et son esprit critique. (Islam, source de liberté, éditions Al Qalam, Paris)

Vous dites également : « Affirmer que le Coran est parole directe de Dieu est un argument d’autorité, nullement démontrable. C’est un acte de foi et comme tel il est respectable, dans la mesure où l’on ne cherche pas à l’imposer par la contrainte. » Affirmer que le Coran est authentiquement préservé est une réalité historique. A la mort du Prophète, il était entièrement écrit sur divers supports et appris par cœur par un nombre considérable d’hommes. C’est pendant le califat d’Abû Bakr qu’il fut réuni. Or, Abû Bakr ne survécut que deux années au Prophète (il fut calife de l'an 10 à 12 après l'Hégire, c'est-à-dire de 632 à 634). Sur ce thème, je vous renvoie à un article qui a été publié dans Le Courrier du 14 août 2002 : La conservation du Coran http://www.cige.org/cige/actu/annees_2001-2003/la_conservation_du_coran.html; et un autre dans Le Monde du 22 septembre 2001 : L’authenticité du Coran http://www.cige.org/cige/actu/annees_2001-2003/lauthenticite_du_coran.html)

Je vous invite à lire l’excellent ouvrage de Roger du Pasquier, Découverte de l’Islam (septembre 1984 – Essai), qui montre le caractère authentique du Coran.

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Vous affirmez également : « Je peux être animé par la foi en cet élan vital que les humains nomment de mille noms différents. (….) Il est légitime de vouloir partager cette foi, de l’exposer. Mais dès que l’on cherche à l’imposer, Dieu devient odieux. L’absolu est dans le cœur. » Dieu n’est jamais odieux, vous avez cependant raison de soutenir que ceux qui prétendent à tort le représenter le deviennent. Mais vous ajoutez : « Dès qu’il en sort (l’absolu), il devient toxique comme ces bactéries qui sont bénéfiques en restant dans leurs organes d’origine mais deviennent mortifères lorsqu’elles s’installent dans d’autres parties du corps. » C’est une image. On peut comprendre les choses différemment : c’est parce que la volonté divine est ignorée, que toutes sortes de maladies se répandent entre les hommes : usure, exploitation, adoration de l’or, sexualité débridée, criminalité dorlotée, éducation malmenée, racisme caché, idéal absent, industries de guerre prospères, massacres programmés, migrants abandonnés… Et ce n’est pas avec de la poésie qu’on peut remédier à ce déclin de nos prétendues valeurs, de plus en plus visible. Même si la poésie est un art d’une grande valeur, qui peut avoir des résonnances révolutionnaires…

Vous affirmez enfin :

« N’oublions jamais que, quel que soit l’idéal qui nous meut, nous ne sommes que des passants myopes qui tentent de se frayer un chemin dans ce monde relatif. Se prendre au sérieux est le seul péché mortel. »

C’est une image encore. J’apprécie votre modestie. Mais elle devrait justement nous convier à nous tourner vers notre Créateur qui Seul a le pouvoir de nous éclairer, car l’homme ne peut se suffire à lui-même : sur les plans de la foi, du culte, de la morale, de la loi, de la culture, des liens sociaux, de l’Etat même, il a besoin de recevoir les orientations divines sans lesquelles il s’égare dans le désordre et le non-sens.

Méditons ce verset qui nous montre que la vie n’est pas un jeu et qu’il faut savoir mesurer l’étendue de nos responsabilités devant Dieu :

« Comptiez-vous que Nous vous avions créés sans but, et que vous ne seriez pas ramenés vers Nous? » (Coran, 23, 115)

 

Hani Ramadan

 

[1] Les gens du Livre, c’est-à-dire notamment les juifs et les chrétiens.

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