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Islam et engagement - Page 8

  •  « Le problème, ce n’est pas le Hamas, mais la colonisation qui se poursuit ! »

     Directeur du Centre islamique de Genève, Hani Ramadan a suscité la polémique en situant le Hamas « entre terrorisme et résistance » dans un récent article. Il précise son point de vue et apporte des précisions dans notre entretien sans concession.

    Hani Ramadan, est-ce la première fois que vous accordez un entretien à un journal ouvertement chrétien et conservateur ?

    Je n’ai effectivement pas souvenir d’avoir répondu à une telle invitation par le passé.

    Est-ce une sorte de défi, pour vous ?

    Non, je ne dirais pas cela. Simplement, je pense qu’il faut que nous soyons ouverts au dialogue, et d’autant plus dans le climat actuel de tensions qui menace de grandir au sein de nos communautés.

    Dans le milieu médiatique, il a été reproché à la Tribune de Genève de vous avoir accordé, précisément, une tribune au début du mois de mars. Vous en signez pourtant depuis des années. Qu’est-ce qui a changé ?

    Effectivement, j’ai régulièrement rédigé des articles repris par 24 heures, Le Temps ou, peut-être plus fréquemment, la Tribune de Genève. Des échanges vifs à la suite de mes opinions qui tranchent avec une doxa diffuse, cela n’a rien de nouveau. Ceux du moment sont liés à une situation hors du commun par son ampleur et sa visibilité : le drame qui se joue à Gaza.

    Ce drame est justement au cœur d’une manifestation nationale, ce week-end (ndlr le 23 mars 2024). Parmi les cosignataires de la mobilisation, on trouve des mouvements féministes, « queer » ou Extinction Rebellion. Vous sentez-vous de la proximité avec ces milieux ?

    Vous savez, il y a dans la nature humaine quelque chose qui rejette les injustices flagrantes. Sur ce point précis, en effet, les hommes se rejoignent pour dire non à la barbarie sioniste.

    Tout de même, n’y a-t-il pas de contradiction à voir un mouvement LGBTQIA+ qui défile en soutien du Hamas ?

    Écoutez, il faut aller leur poser la question. Mais quand on brûle vif, mutile ou affame des enfants et des femmes, quand on bombarde des civils avec des avions et des armes sophistiquées, la réaction humaine est inévitable. Elle relève d’une évidence, à savoir qu’on a dépassé toutes les limites. Ce ne sera donc pas moi qui irai contester la présence de tel ou tel groupe venu exprimer ce désaveu.

    Vous dénoncez ce cortège d’horreurs du côté palestinien, mais il y a aussi des otages israéliens qui sont toujours détenus depuis 2023…

    Le mot « otage » ne rend certainement pas compte du contexte de ces opérations. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les kibboutz attaqués le 7 octobre ont été construits sur onze villages palestiniens détruits. Les dernières personnes à avoir été envoyées à Gaza venaient précisément de ces endroits. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui le dis, mais l’historien israélien Ilan Pappé, que je citais dans mon dernier article paru dans la Tribune de Genève. Cet auteur soutient, et d’autres avec lui, que le Hamas n’est pas un mouvement terroriste, mais qu’il mène une action de résistance. Son but n’a jamais consisté à massacrer des gens, décapiter des bébés ou violer des femmes – informations d’ailleurs démenties depuis. Tout cela relève de la propagande de guerre et des témoignages sortent même dans la presse israélienne de gauche qui prouvent que ces choses ne se sont jamais produites. Je vous renvoie à une large enquête que vous trouverez sur mon blog, où sont accumulés les faits qui contredisent le narratif du gouvernement israélien : 7 octobre : que s’est-il réellement passé ?[1]

    Vous relativisez tout de même beaucoup la portée du 7 octobre…

    Le Hamas voulait prendre des prisonniers pour les échanger contre ceux – on les évalue à 6000, dont de nombreux enfants – qui croupissent dans les geôles israéliennes. Quel intérêt y aurait-il eu à tuer ces gens ? Les morts proviennent en grande partie de l’armée israélienne qui a voulu empêcher l’opération en attaquant et bombardant les kibboutz. Cela étant dit, bien sûr que le Hamas peut faire l’objet d’une enquête comme n’importe quelle organisation, mais il faut qu’elle soit menée librement et selon le droit. Or j’observe que sur le coup de l’émotion, tant nos conseillers fédéraux que la presse se sont précipités pour retenir les affirmations du gouvernement suprémaciste de Netanyahou.

    Selon vous, la Suisse n’aurait pas dû afficher sa solidarité avec le peuple israélien, au lendemain des attaques ?

    On aurait dû prendre le temps de mener une enquête sur ce qui s’est réellement passé. C’est ce qui qualifie l’État de droit. Nous sommes la Suisse, pas Israël, et nous n’avons pas à nous aligner sur sa politique ou sur les éléments de sa propagande.

    Prendre le temps de l’enquête : vous aviez déjà dit cela à propos du massacre du Bataclan…

    Oui, j’ai toujours tenu les mêmes propos lorsqu’il y a eu des drames et des attaques qualifiés immédiatement de « terroristes ». Je pense qu’on va toujours trop vite pour tirer des conclusions, notamment au niveau de la presse et des médias.

    Mais cette émotion n’est-elle pas légitime quand on voit des jeunes qui se font attaquer en plein festival techno, le 7 octobre, en Israël ?

    Je n’ai vu aucune image qui va dans ce sens : on a parlé de massacre à grande échelle, mais encore une fois, bon nombre de témoignages de civils israéliens affirment aujourd’hui que c’est leur propre armée qui leur a tiré dessus, notamment lourdement par la voie des airs. Ce qui a été confirmé par des soldats de Tsahal. De son côté, le Hamas a reconnu que des Israéliens ont été touchés lors des échanges de tirs, mais telle n’était pas sa volonté. Par ailleurs, ses combattants n’avaient pas connaissance qu’un « festival techno » avait lieu dans les parages.

    On dirait que vous avez toujours une piste de sortie complotiste.

    Voilà bien une expression que l’on brandit systématiquement pour décrédibiliser ceux qui tentent d’aller au-delà de la doxa que les lobbies veulent imposer. Ne vous y méprenez pas, ces lobbies sont une réalité : regardez ce qui se passe dans la presse d’expression française avec des médias tenus par des gens comme Patrick Drahi…

    Vous faites allusion à l’idée d’un grand complot juif mondial ?

    Parler de « grand complot juif mondial » est une expression dangereuse ! Elle est à éviter parce qu’elle incrimine les Juifs dans leur ensemble, et l’on sait comment le nazisme en a fait usage. Cependant, le sionisme international n’est pas une lubie, mais bien une réalité. On sait pertinemment que personne ne devient président aux États-Unis sans passer par l’AIPAC (ndlr American Israel Public Affairs Committee, puissant lobby basé à Washington) ou par le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), chez nos voisins. On a vu, sur un autre plan, des journaux qui ont systématiquement orienté le débat vers une condamnation du Hamas, quitte à présenter des informations et des chiffres inexacts sur la réalité du 7 octobre.

    Vous affirmez que la presse est « tenue » par le sionisme ?

    En grande partie. Mais je dirais plutôt « orientée ». Il faut d’abord rappeler que la culture occidentale souffre d’un complexe de culpabilité vis-à-vis des Juifs depuis la Shoah. Vous savez, lutter contre l’antisémitisme est une chose essentielle et encore aujourd’hui, il ne faut pas oublier que dans une Europe que l’on croyait « des Lumières », on a accepté que le nazisme s’installe et massacre les Enfants d’Israël d’une façon abominable. Malheureusement, le poids de l’histoire fait qu’on hésite aujourd’hui à faire la critique de la politique israélienne, et je crois que c’est une grave erreur. C’est précisément en dénonçant les exactions du sionisme, et en le distinguant du peuple juif et de tout ce qu’il a apporté à l’humanité, qu’on lutte contre l’antisémitisme. Ceux qui pensent qu’il ne faut pas critiquer Israël à cause du souvenir de l’extermination nazie nourrissent un amalgame. En tant que musulman, je le dis clairement : on ne doit toucher ni aux rabbins, ni aux synagogues, ni aux Juifs et à la culture juive ; mais sur la question palestinienne, on doit être juste.

    Être juste et équilibré, n’est-ce pas aussi rappeler que les Israéliens reçoivent des roquettes sur la tête depuis vingt ans ?

    Vous inversez l’ordre des choses. Ce sont les civils palestiniens qui sont agressés depuis 1918, et la réponse armée s’appelle de la résistance. Je vous renvoie, à titre d’exemple, aux observations que fit Monsieur Majed Bamya (du Fatah, diplomate au Ministère des affaires étrangères palestiniens) à une journaliste sur France24, à la suite de l’agression contre Gaza en 2014 : « Le Hamas, qui a fait 27 morts israéliens, dont 25 militaires appartenant à la puissance occupante israélienne, serait une organisation terroriste et des criminels ; et ceux qui ont fait 530 morts, dont 90 % de civils, dont plus d’une centaine d’enfants, seraient le pays civilisé dans ce conflit ? »[ 2] Notons qu’il s’agissait d’un bilan intermédiaire. Au final, « côté palestinien, au moins 2140 personnes ont perdu la vie durant cette nouvelle guerre (en 2014), la troisième en six ans. Parmi eux, 1460 civils, dont 493 enfants âgés de 10 jours à 17 ans, 253 femmes et 714 civils hommes. »

    « LE POIDS DE L’HISTOIRE FAIT QU’ON HÉSITE AUJOURD’HUI À FAIRE LA CRITIQUE DE LA POLITIQUE ISRAÉLIENNE, ET JE CROIS QUE C’EST UNE GRAVE ERREUR. »

    Les roquettes du Hamas visent des habitations, souvent…

    Vous voyez que les atrocités commises par Tsahal ne sont pas une nouveauté. Quand on bombarde tout un peuple d’un côté, il y a forcément une réponse de l’autre. Bien sûr, nous sommes persuadés qu’il faut épargner les civils, mais le contexte historique fait que les Palestiniens se trouvent confrontés à une colonisation qui se poursuit. Peut-on dire d’un colon armé qui a le droit de tirer sur les Palestiniens qu’il est un « simple civil » ? Je ne le pense pas. Le problème, ce n’est pas le Hamas, mais la colonisation qui se poursuit.

    Qui est ce « nous » que vous employez régulièrement ?

    Il désigne ceux qui pensent, comme moi, que la résistance palestinienne est légitime.

    À l’Université de Lausanne, la Semaine d’actions contre le racisme de mars 2024 a donné la parole à des personnes très antisionistes. N’est-ce pas la preuve que votre sensibilité est aujourd’hui dominante ?

    Non, c’est tout le contraire. La tendance qui vise à criminaliser ceux qui dénoncent le sionisme et osent défendre la résistance est largement dominante. On ne peut que féliciter toute démarche qui, dans les milieux académiques, ouvre plus largement le débat. Depuis le 7 octobre sont dévoilées la lâcheté de la plupart des gouvernements occidentaux, l’hypocrisie de bon nombre de gouvernements arabes, et la faiblesse du système onusien.

    Avez-vous un dernier message pour nos lecteurs chrétiens ?

    Oui. Je les encourage à se pencher davantage sur le sort des Palestiniens chrétiens qui vivent à Gaza et Jérusalem. J’aimerais aussi leur dire de s’intéresser à l’islam de façon objective. Souvenez-vous que le message de Jésus, c’est de nous aimer les uns les autres. Comme musulman, je pense que je suis plus chrétien que le chrétien dans le sens où je ne divinise pas la personne du Christ, mais le considère comme un noble prophète, miraculeusement né d’une Vierge par la volonté de Dieu. Un grand homme qui est notre modèle, illustre ainsi que sa mère : « (Rappelle) quand les Anges dirent : Ô Marie, certes Dieu t’a choisie, t’a purifiée, et t’a élue au-dessus des femmes des mondes. » (Coran, 3, 42)

    Propos recueillis par Raphaël Pomey

    In Le Peuple Média libéré AVRIL 2024

    Le Peuple | Il n'y en a qu'un | Magazine de Suisse romande

    LePeuple_avril24_#32 (cige.org)

     

     

     [1] 7 octobre : que s’est‑il réellement passé ? - Islam et engagement (blogspirit.com)

     [2] https://www.youtube.com/watch?v=PFKtqk4p2b

     

  • Le Hamas, entre terrorisme et résistance

    Il semble que depuis le 7 octobre 2023, les journalistes et la plupart des représentants des États occidentaux n’aient guère d’autre choix que de criminaliser le Hamas.

    Cela n’a pas toujours été le cas. Il y a près de 20 ans, une grande partie de la communauté internationale dénonçait le meurtre du leader palestinien Ahmed Yassine, assassiné le 22 mars 2004. Kofi Annan, Jack Straw, Javier Solana, Joschka Fischer, Dominique de Villepin, Jan Petersen, Hanan Ashwari et bien d’autres exprimèrent publiquement la condamnation de cet acte contre celui qui avait fondé le Hamas («Leaders condemn Yassin killing», 23 mars 2004, CNN).

    Cheikh Yassine, fondateur du Hamas, lors d’un meeting dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza, le 14 février 2003. © MOHAMMED SABER / AFP

    Cheikh Yassine, fondateur du Hamas, lors d’un meeting dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza, le 14 février 2003, une année avant son assassinat.

    Cet homme et le Hamas veulent-ils l’extermination des juifs, comme d’aucuns le prétendent? Ou bien résistent-ils à un agresseur qui depuis 75 ans – et bien avant le 7 octobre dernier – tue, terrorise et chasse de leurs terres les Palestiniens?

    Ahmed Yassine a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet lors d’une interview. Le 30 octobre 1997, le «Courrier international» publiait un article intitulé: «La surprenante modération du fondateur du Hamas». Il y affirmait: «Nous pouvons vivre avec les juifs (…) Ils pratiquent leur religion. Nous ne portons pas atteinte aux pratiquants.» Et d’expliquer clairement que s’il était agressé par des musulmans ou même des proches qui viendraient lui voler sa terre, il serait dans l’obligation de combattre!

    La Charte du Hamas

    En ce qui concerne la Charte du Hamas, qui préconise la libération de l’ensemble des territoires occupés, et qui refuse de reconnaître l’État d’Israël, elle repose sur un constat historique: depuis 1917, le sionisme n’a été qu’un mouvement de colonisation qui n’a jamais cessé de s’étendre. En 2017, le Hamas a accepté une trêve de longue durée en se tenant à la partition de 1967, mais c’est le gouvernement israélien qui a refusé d’entrer en matière: les colonies de peuplement ayant largement dépassé les frontières de l’«État palestinien» que la Charte du Likoud ne reconnaît d’ailleurs pas. On peut y lire: «Le gouvernement israélien rejette fermement la création d’un État arabo-palestinien à l’ouest du Jourdain.»Et plus loin: «Jérusalem est la capitale éternelle et indivisible de l’État d’Israël et seulement de l’État d’Israël. Le gouvernement rejettera fermement toute proposition palestinienne envisageant la division de Jérusalem.»

    L’historien israélien Ilan Pappé, qui refuse de considérer le Hamas comme une organisation terroriste, a montré que le dernier groupe de Palestiniens qui a été poussé dans la bande de Gaza venait de «11 villages détruits par Tsahal, sur les ruines desquels Israël a construit les colonies attaquées le 7 octobre 2023.»

    Libre à chacun de diaboliser la résistance palestinienne, de l’assimiler à de l’antisémitisme, de reprendre la propagande de guerre d’une armée dont le gouvernement d’extrême droite sera bientôt invité à rendre des comptes devant les Cours de justice internationales.En revanche, les tueries de femmes et d’enfants, la destruction d’hôpitaux, d’habitations, de mosquées et d’églises, la famine, la soif et les opérations sans anesthésie, etc., tout ce cortège d’atrocités est parfaitement visible. 

     

    Hani RAMADAN

    Directeur du Centre Islamique de Genève

    Tribune de Genève - L'invité, 7 mars 2024

     

  • Bulletin du Centre Islamique de Genève N° 88, mars 2024

    Bismi Llah

    Al hamdu li Llah

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    Cordialement

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