Quelle aspiration conduit BHL à venir cycliquement rendre visite à la Genève internationale, et à notre Suisse chérie ?
La défense des siens, à n’importe quel prix.
Ainsi, le pseudo philosophe vint en Suisse pour soutenir Roman Polansky, et notre gouvernement décida aussitôt – cause ou coïncidence – d’annuler son projet d’extrader le célèbre cinéaste aux Etats-Unis, pour y être jugé.
Interrogé par un journaliste sur Europe 1, qui lui demandait : « Est-ce que vous comprenez que lorsqu’il s’agit d’une affaire qui implique un homme d’une quarantaine d’années et une mineur de treize ans avec laquelle il y a eu des rapports sexuels apparemment non consentis, que les gens hésitent avant de se prononcer ? » Réponse catégorique de BHL : « Non. » Au journaliste qui lui fait remarquer que 42 jours de prison pour le viol d’une « femme », « ce n’est pas beaucoup », et qui évoque une peine plus longue, BHL réplique qu’il serait impensable d’exiger plus alors qu’il s’agit selon lui « d’un détournement de mineur ». Les faits prouvent cependant que Polansky a drogué cette jeune fille avant de la sodomiser. « Peut-être une erreur de jeunesse », selon BHL. Discours approximatif qui contraste avec le témoignage de la principale victime, Samantha Geimer : « Il m’a donné du champagne et du Quaalude (un puissant sédatif). Et il a abusé de moi. Ce n’était pas du sexe consenti, en aucune façon. J’ai dit non, de manière répétée, mais il ne voulait rien entendre…J’étais seule, et je ne savais pas quoi faire. J’avais peur (….) Quand je repense à tout ça, il ne fait aucun doute que ce qu’il a fait était horrible… » (Los Angeles Times, le 23 février 2003) Dans la même logique, BHL prendra immédiatement et sans attendre le résultat des enquêtes la défense de DSK, sans doute victime lui aussi d’un acharnement médiatique. Toutes ces affaires nous laissent cependant un goût amer : celui de voir la justice bafouée, ne s’appliquant pas à tous de la même manière, selon les ressources monétaires des personnes inculpées. Combien d’hommes passent aujourd’hui des années derrière les barreaux pour des actes similaires, et n’ont pas le privilège de s’en sortir parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer des avocats prestidigitateurs ? Comment peut-on prendre le parti du viol d’une enfant ? Cela est possible lorsque l’on fait partie du club des nantis.
Autre passage de BHL dans la cité des droits de l’homme. Il est venu cette fois pour soi-disant soutenir l’initiative de Genève : reconnaissance de deux états – Israël et Palestine – sur la base des frontières de 1967, évacuation des colonies juives de la quasi-totalité de la Cisjordanie, partage de la souveraineté de Jérusalem, renoncement de facto au droit au retour de 3,8 millions de réfugiés palestiniens, arrêt de toutes les violences de part et d’autre, libération de prisonniers palestiniens. Or, cette initiative date du 1er décembre 2003. A l’époque, nous avions montré qu’elle ne se réaliserait tout simplement pas, parce que la politique du gouvernement israélien a toujours été celle de l’expansion et de l’appropriation totale de Jérusalem. Les vraies questions sont les suivantes : depuis 2003, combien de nouvelles colonies se sont implantées en territoire palestinien ? Combien de maisons ont été rasées et d’habitats construits pour accueillir les colons ? Combien de Palestiniens, selon les méthodes sionistes impitoyables qui se répètent depuis soixante ans, ont dû laisser leurs demeures et fuir la persécution raciste ? Pendant que BHL ergote ainsi dans les salons feutrés et les salles de conférence, le scandale se poursuit. Le suppôt d’un Etat agresseur se fait passer pour un homme de paix. On applaudit, alors qu’ailleurs, on emprisonne et on tue. On contredit de cette façon une règle d’or : aux faits discriminatoires, on oppose des faits, et non des discours. A la colonisation, la résistance.
Autre passage de l’imposteur dans la cité de Calvin : BHL est venu célébrer le banquier Edmond Safra. « C’est l’homme, qui, en 1967, après que Tsahal vint à bout d’une coalition d’armées une nouvelle fois acharnées à sa perte, décida de reconstruire à l’identique, dans la vieille ville de Jérusalem, face au Mur, l’une des plus anciennes yeshivas de la région, la yeshiva Porat Yossef (….) Aujourd’hui, à la Grande Synagogue de Genève, je choisis d’honorer le bienfaiteur, le philanthrope, l’héritier des Adolphe Crémieux, des James de Rothschild, des Moses Montefiore, ces fils des Lumières juives (….) Une sorte de juif total, en un mot. Ou, au sens propre, de juif absolu. » (BHL, Le Point, 22-29 décembre 2011) Ecoutons bien ce que le philosophe multimillionnaire nous suggère au passage : Tsahal est une armée de justes héroïques ! La vieille ville est à nous ! Les banquiers qui financent les conquêtes guerrières de l’Etat hébreu sont des philanthropes. Le juif total reste un fils des Lumières ! En vérité, le style de BHL est un mélange d’oxymores douteux.
Propos que l’auditoire de BHL peut goûter mêlés à toutes les sauces, alors qu’il s’agirait plutôt de dénoncer le pouvoir exercé par les milieux de la finance et des lobbies sionistes sur la politique américaine. Influence qui est à l’origine du martyre continuel des Palestiniens.
Mais non. Il n’y a rien à attendre d’un « penseur » dominé par son fanatisme tribal. Je l’invite à prendre quelques leçons du Prophète Muhammad. Les Arabes, avant l’islam, étaient asservis – comme BHL – à l’esprit de clan. Ils avaient un dicton : « Viens au secours de ton frère, qu’il commette une injustice ou qu’il subisse une injustice. » En d’autres termes, tu dois te tenir fermement et fidèlement au côté du membre de ton clan, même s’il est dans son tort, parce qu’il fait partie de ta tribu. Ainsi, même lorsque Tsahal commet les pires atrocités contre des civils, BHL sera toujours le fervent défenseur de Tsahal. Corrigeant cette façon de voir, le Prophète Muhammad a repris cette expression en disant : « Viens au secours de ton frère, qu’il commette une injustice ou qu’il subisse une injustice. » Ses Compagnons demandèrent : « Nous le secourrons s’il subit une injustice, mais comment le secourir si lui-même se comporte de façon injuste ? » Le Prophète déclara alors : « Tu l’empêcheras de commettre son injustice, c’est ainsi que tu viendras à son secours. » Et dans une version du hadith : « Tu l’empêcheras de mal faire ». (Rapporté par al-Bukhârî)
Le Coran affirme : « Nous t’avons révélé le Livre avec la vérité, afin que tu juges entre les hommes d’après ce que Dieu te montre. Ne te fais pas l’avocat des traîtres. » (Coran, 4, 105) Or, ce verset a été révélé à l’occasion d’un litige survenu entre un juif et un musulman. Ce dernier, Ibn Ubayriq, avait volé une cotte de mailles, et l’ayant cachée chez un juif, accusa ensuite ce dernier du vol. Sa tribu prit son parti dans sa fausse accusation. Le Prophète acquitta le juif et condamna le musulman. Cela se passait « à une époque où chaque bras musulman était requis pour la défense de l’islam, et un verdict contre un homme bénéficiant du soutien de toute sa tribu signifiait la perte du soutien de cette tribu. Mais le Prophète n’attachait aucune importance à de telles considérations. » (Muhammad Ali, The Holy Qur’an)
La grandeur d’âme d’un Prophète ne s’accommode jamais de la pensée tribale. Elle touche la part d’universalité qui réside en chacun de nous.
La vérité, la justice dépassent toute forme d’appartenance.
Ainsi devrait aller le monde.
A Genève autant qu’ailleurs.
Hani Ramadan