J’ai reçu trois propositions de traduction de cette lettre bouleversante. Je livre une version corrigée à partir du texte arabe, en invitant chacun à méditer sur le sens de notre engagement, qui ne peut nous mener, si nous sommes sincères, qu’à la plus grande des victoires…
Le Dr El Baltaji a perdu sa fille Asma, 17 ans, tuée par l’armée égyptienne alors qu’elle participait au sit-in à Rab'a au Caire.
Lettre à ma fille
A ma chère fille, celle qui m’a tant appris, la martyre Asma El Baltaji.
Je ne te dis pas adieu… je te dis : demain nous nous retrouverons.
Tu as vécu la tête haute, rebelle contre la tyrannie, refusant toute chaîne et amoureuse sans limite de la liberté. Tu as vécu discrètement en quête de nouveaux horizons pour reconstruire cette nation, afin qu'elle retrouve sa place parmi les grandes civilisations.
Tu ne te souciais pas de ce qui préoccupe habituellement ceux de ton âge. Même si tu as toujours été la première de ta classe, les études traditionnelles n'ont pas su combler tes aspirations et ton intérêt.
Je n’ai pas assez profité de ta précieuse compagnie durant cette courte vie qui a été la tienne, et c’est surtout mes obligations qui m’empêchaient de me réjouir de ta présence. La dernière fois que nous nous sommes assis, ensemble, au parc de Rab‘a Al ‘Adawiya, tu m’as dit sur le ton du reproche : « Même quand tu es avec nous, tu es occupé ! » et je t’ai répondu : « Il semble que cette vie ne sera pas assez longue pour que l’on puisse profiter l’un de l’autre… alors, je prie Dieu de nous réunir au Paradis afin que l’on rattrape le temps perdu ici ».
Deux jours avant ton assassinat, je t’ai vu en rêve … tu portais une robe de mariée blanche et tu étais d’une beauté et d’une splendeur inégalables en ce monde. Quand tu t'es étendue près de moi, je t’ai demandé en silence : « Est-ce ta nuit de noces? » et tu m’as répondu: « Ce sera l’après-midi, pas le soir ».
Mercredi après-midi, quand j’ai appris que tu avais été tuée, j’ai compris ce que tu avais voulu me dire alors… et j'ai su que Dieu avait agréé pour ton âme le statut de martyre. Tu as renforcé ma conviction que nous sommes dans le vrai et que notre ennemi personnifie l’erreur et le mensonge.
Cela m'a causé une douleur extrême de ne pas avoir été à tes côtés quand tu as rendu ton dernier souffle. De ne pas t’avoir vu une dernière fois, de ne pas avoir embrassé ton front, ni avoir eu l’honneur de guider ta prière funéraire. Je jure par Dieu, ma chérie, que je ne suis pas venu, non pas par peur pour ma vie ou par crainte d’une prison injuste, mais je voulais poursuivre ton œuvre, celle pour laquelle tu as sacrifié ton âme, je voulais poursuivre la révolution jusqu’à la victoire et la réalisation de tous ses objectifs.
Ton âme s’est élevée et tu as gardé la tête haute, avançant et non reculant, jusqu’au bout résistant à ces tyrans criminels. Les balles traîtresses t’ont atteinte en pleine poitrine. Quelle âme déterminée et pure fut la tienne ! Je suis certain que tu étais honnête envers Dieu et qu’Il t'a choisie, parmi nous, pour t'honorer du martyre.
Mon adorable fille, celle qui m’a tellement appris.
Je ne te dis pas adieu, mais je te dis à bientôt. Nous allons nous revoir vers le Bassin et nous serons en compagnie de Notre Prophète aimé et de Ses Compagnons, au Paradis dans un séjour de vérité, auprès d’un Souverain au pouvoir absolu, là où nous pourrons réaliser notre souhait de nous délecter pour toujours de la présence de ceux et celles que nous aimons.