Décorés avant la fin de l'enquête
Avant toute enquête, voilà que toute la presse et les médias reprennent en chœur le scénario qui célèbre les héros du Thalys, ce groupe d’hommes qui aurait réussi à neutraliser un terroriste avéré avant même qu’on songe à le taxer de terroriste présumé.
Avant toute enquête, et avant même que les interrogatoires mettent à jour les intentions réelles du coupable, Le Figaro parle dans son édition mise en ligne le 23 août 2015 d’un « jeune islamiste marocain qui a voulu semer la mort vendredi dans le Thalys entre Amsterdam et Paris. »
Le Monde rapporte les faits : « Trois jeunes Américains, Alek Skarlatos, Spencer Stone et Anthony Sadler (respectivement 22, 23 et 23 ans) aidés d’un sexagénaire britannique, Chris Norman, sont parvenus à neutraliser le suspect.»
Le Monde ne doute pas un instant qu’un « carnage a été évité, vendredi 21 août, dans un train Thalys reliant Amsterdam à Paris et transportant 544 passagers. »
Pourtant, à l’heure où la Légion d’honneur est décernée par le président Hollande à ceux qui ont mené cette action héroïque et qui ont nécessairement sauvé plus d’un demi-millier de victimes potentielles, un malaise accompagné de doutes gagne les esprits les plus éclairés.
Quelle mise en scène aux proportions extraordinaires et planétaires ! Amsterdam, Paris, la Belgique, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis, tout le monde est concerné !
Cet événement va rehausser le prestige des militaires américains, passablement amoindri par les agissements d’une armée qui sème la mort à grande échelle depuis des décennies partout où elle se rend.
De qui se moque-t-on ? De peuples gavés par les séries américaines qui finissent par confondre la réalité et le cinéma ? Pourquoi l’actualité nous est-elle présentée de façon si superficielle ? Pourquoi nous oriente-t-elle à considérer désormais que tout « maghrébin », en apparence innocent et gentil garçon, peut cacher un monstrueux terroriste ?
N’y a-t-il pas là une forme de manipulation qui domine largement la presse et les médias occidentaux, nous conduisant à des raccourcis pervers, qui cachent des drames humains autrement plus conséquents ?
On trompe l’opinion publique en donnant à des actes isolés des proportions gigantesques et des interprétations précipitées, voire erronées. En contrepartie, on nous cache des crimes odieux, qui se comptent par centaines de milliers, comme s’ils ne se produisaient pas en temps réel !
Les grandes chaînes officielles ont renoncé à nous informer sur les drames quotidiens que subit le peuple syrien. Pourquoi ? Parce que ni le gouvernement français, ni le gouvernement britannique, ni le gouvernement états-unien, orientés par les lobbies financiers et leur électorat obnubilé, n’ont eu jamais l’intention de sauver des millions de Syriens qui appellent à l’aide depuis quatre ans !
Voilà le véritable scandale. Après cela, décernez des médailles à qui bon vous semble !
Hani Ramadan
Tribune de Genève,
L’invité, le 25 août 2015