Le drame de Nice est révélateur de la distance qui sépare la réalité de l’interprétation « médiatico-politique » qui en est faite. Peu importe au final la vraie nature d’une action, seule compte sa résonnance dans la conscience collective.
Les faits ne sont plus analysés pour ce qu’ils sont – ce qui constitue tout de même le fondement de toute objectivité – mais pour l’usage qu’en font les hommes politiques et les journalistes en quête de popularité et de sensations.
Première épisode : avant même toute enquête et immédiatement, comme cela semble être devenu une habitude, le président Hollande a fait une déclaration mettant en cause Daesh dans « l’attentat » survenu à Nice ce 14 juillet 2016, et affirmant sa détermination à éradiquer le mal à sa racine, c’est-à-dire dans le fief des fanatiques quelque part entre l’Irak et la Syrie. Les médias abondaient dans le même sens : aucun doute, ce crime odieux porte la marque de fabrique du terrorisme à grande échelle. Le coupable, c’est donc bien le fondamentalisme islamiste.
Deuxième épisode : dans une ligne d’analyse identique, à peine plus marquée, Marion Maréchal-Le Pen se sert de l’événement pour justifier la position raciste du Front national qui estime que le problème, c’est l’islamiste étranger. La preuve ! Elle déclare en grande pompe : « Si nous ne tuons pas l'islamisme, il nous tuera ! » Chiasme pour le moins déplacé et absolument hors sujet ! Qu’à cela ne tienne ! La formule est porteuse et sonne à l’oreille des patriotes !
Liste de médicaments. Le père de l'auteur de l'attentat de Nice qui a semé la mort le 14 juillet affirme que son fils était un homme déprimé, violent et souffrant de troubles psychiatriques. Devant son domicile dans la ville de Msaken, le père du tueur s’est confié aux journalistes de RTL, soulignant que son fils avait fait une dépression dans les années 2000 et qu'il n'avait aucun lien avec la religion.
Troisième épisode : on découvre en effet que le présumé responsable de ce drame n’est pas du tout religieux, et même dépressif selon le témoignage de son propre père. L’Elysée se rattrape aussitôt : un nouveau concept est né, celui de radicalisation express. Maladie qui s’attrape sans doute comme une grippe passagère ! Concept nécessaire cependant pour ajouter la mauvaise foi à la bêtise et pour justifier que l’on persiste à considérer que les barbus de Syrie sont bien les commanditaires, directement ou indirectement (subtile nuance issue d’une profonde intelligence), de la tuerie. Ces derniers auraient d’ailleurs tardivement revendiqué l’action, étonnés peut-être et encouragés certainement par une mise en scène journalistique qui leur attribue une redoutable efficacité !
Bien sûr, ces détails seront vite oubliés par une opinion publique manipulée, pour qui seule la première impression compte, surtout quand elle émane du chef de l’Etat, est répétée en boucle, et ne nécessite aucun effort de réflexion.
Et puis, si ce n’est pas toi, l’islamiste, c’est donc ton frère, l’Arabe ou le « Français de papiers », comme disent les frontistes…
Odieuse récupération de ce qui, malheureusement, n’est pas une fable.
Toute notre compassion à toutes les victimes, sans exception.
Hani Ramadan