Selon la version donnée par Ibn Hishâm.
Le Prophète (bénédiction et paix sur lui) loua Dieu et fit Son éloge, puis il dit :
« Ô peuple ! Ecoutez ma parole, car je ne sais pas, il se peut que je ne vous rencontre pas après mon année que voici, en ce lieu, à jamais[1].
Ô peuple ! Votre sang et vos biens sont sacrés, jusqu’à ce que vous alliez à la rencontre de votre Seigneur, comme sont sacrés votre jour que voici, et votre mois que voici. Vous allez certainement rencontrer votre Seigneur, et Il vous interrogera sur vos actions. Et je vous ai certes transmis (cet avertissement). Celui donc qui détient chez lui un dépôt, qu’il le rende à celui qui le lui a confié.
Toute part d’intérêt est abolie, mais le capital vous revient sans que vous ne soyez injustes ou que l’on ne soit injuste à votre encontre. Dieu a décrété l’interdiction de l’intérêt. La part d’intérêt qui revient à ‘Abbâs Ibn ‘Abd al-Muttalib est complètement abolie.[2] Toute dette de sang datant du temps de l’ignorance est abolie. Et la première de ces dettes que j’abolis est celle due au fils de Rabî‘a Ibn al-Harth Ibn ‘Abd al- Muttalib : alors qu’il était en allaitement chez les Banî Layth, il fut tué par Hudhayl[3]. Il est le premier par qui je commence en ce qui concerne le sang versé du temps de l’ignorance.
Or donc, ô peuple ! Le diable certes désespère d’être adoré dans votre terre que voici à tout jamais. Cependant, s’il est suivi pour d’autres choses[4], comme certaines de vos mauvaises actions que vous jugez de peu d’importance, il en sera satisfait. Tenez-vous donc sur vos gardes contre lui dans le but de préserver votre religion.
Ô peuple ! Le report d’un mois sacré à un autre n’est qu’un surcroît d’incroyance. Par là, les négateurs s’égarent une année, ils déclarent le mois profane, et une année ils déclarent le mois sacré, afin de s’ajuster sur le nombre de mois que Dieu a rendu sacrés, de telle sorte qu’ils autorisent ce que Dieu a défendu et interdisent ce que Dieu a autorisé[5]. Et, en vérité, le temps est revenu à sa mesure initiale tel qu’il fut le jour où Dieu créa les cieux et la terre. Le nombre de mois auprès de Dieu est de douze mois, dont quatre sont sacrés : trois se suivent[6], et le mois de Rajab de Mudar[7] qui se trouve entre Jumâdâ et Sha‘ban.
Or donc, ô peuple ! Vous avez certes des droits sur vos femmes, et elles ont des droits sur vous. Vous avez sur elles le droit qu’elles ne permettent à aucune personne que vous détestez de s’asseoir sur vos lits. Elles ne doivent commettre aucune action gravement honteuse. Si elles le font, Dieu vous a certes permis de vous en détourner dans vos couches et de corriger, sans violence[8], leur comportement. Si elles renoncent à commettre de mauvaises actions, elles ont droit à ce que vous les nourrissiez et les habilliez selon le bon usage. Prenez donc sur vous la recommandation d’être bienfaisants vis-à-vis des femmes : elles sont chez vous telles des captives, ne possédant rien pour elles-mêmes. Vous les avez prises pour femmes devant Dieu, qui vous les a confiées ; et vous avez pu entreprendre avec elles des rapports licites selon les paroles de Dieu.
Ô peuple, comprenez donc ma parole ! Je vous l’ai certes transmise, et j’ai laissé auprès de vous ce qui permettra que jamais vous ne vous égariez si vous vous y tenez fermement. Une chose claire : le Livre de Dieu et la Sunna de son Prophète.
Ô peuple ! Ecoutez ma parole et comprenez-la.
Vous savez certes que tout musulman est le frère du musulman, et que les musulmans sont frères. Un individu ne peut donc prendre à son frère que ce qu’il lui donne de plein gré. Ne soyez donc pas injustes vis-à-vis de vous-mêmes !
Ô Grand Dieu ! Ai-je transmis le Message ? »
Il fut mentionné que les gens répondirent « Ô Grand Dieu, si ! »
Le Messager de Dieu (bénédiction et paix sur lui) dit alors : « Ô Grand Dieu ! Je t’en prends à témoin. »
D’après Ibn Is’hâq, l’homme qui rapportait en criant à la foule les paroles du Messager de Dieu (bénédiction et paix sur lui), alors qu’il était à ‘Arafat, s’appelait Rabî‘a Ibn Umayya Ibn Khalaf. Le Messager de Dieu lui disait : « Dis: Ô peuple ! Le Messager de Dieu demande : « Savez-vous quel est le mois que voici ? » Rabî‘a Ibn Umayya Ibn Khalaf répétait la question et ils répondaient: « Le mois sacré. » Le Prophète (000) lui disait alors : « Dis-leur : Dieu a certes déclaré sacrés votre sang et vos biens, jusqu’à ce que vous rencontriez votre Seigneur, tout comme est sacré votre mois que voici. »
Puis il reprenait en disant: « Dis: Ô peuple ! Le Messager de Dieu (bénédiction et paix sur lui) demande: « Savez-vous quel est le pays que voici ? » Rabî‘a Ibn Umayya Ibn Khalaf répétait alors la question de sa plus forte voix, et ils répondaient: « Le pays sacré. » Il dit : « Dis-leur: Dieu a certes déclaré sacrés votre sang et vos biens, jusqu’à ce que vous rencontriez votre Seigneur, tout comme est sacré votre pays que voici. »
Il dit (bénédiction et paix sur lui): « Dis: Ô peuple ! Le Messager de Dieu demande: « Savez-vous quel est ce jour ? » Rabî‘a Ibn Umayya Ibn Khalaf répétait la question et ils répondaient: « Le jour du plus grand pèlerinage. » Il dit (bénédiction et paix sur lui): « Dis-leur : Dieu a certes déclaré sacrés votre sang et vos biens, jusqu’à ce que vous rencontriez votre Seigneur, tout comme est sacré votre jour que voici. »
[1] Trois mois après avoir donné ce sermon, le Prophète (bénédiction et paix sur lui) décéda en effet à Médine.
[2] L’Islam a interdit ainsi l’usure et le prêt à intérêt à tout jamais. Il est intéressant d’observer que le Prophète applique la loi divine en commençant par les siens. Ici, c’est son oncle paternel ‘Abbâs Ibn ‘Abd al-Muttalib qui devra renoncer aux intérêts des dettes qui lui étaient dues. Désormais, il n’aura que le droit de récupérer son capital, sans aucun surplus.
[3] Même logique en ce qui concerne la « dette de sang » pratiquée du temps de l’ignorance précédant la venue du Prophète, et qui se traduisait par des hostilités entre deux clans et des actes de vengeance qui ne prenaient jamais fin. Le Messager de Dieu l’abolit en commençant par une victime appartenant à son propre clan. Il met ainsi fin au cycle de la violence. Tout cela pour donner l’exemple et pour proclamer que la vie des individus et leurs biens sont désormais sacrés.
[4] En dehors du fait d’être considéré comme une idole et une divinité.
[5] Afin de rattraper le retard du calendrier lunaire sur le calendrier solaire, les polythéistes mecquois avaient pris l’habitude, tous les deux ou trois ans, d’intercaler le mois appelé nasî’ entre les mois sacrés pendant lesquels devait être observée une trêve générale.
Ce mois leur permettait ainsi de se livrer à des guerres et des actes de brigandage pendant les mois sacrés, ce que le Coran réprouve (voir Coran, 9, 37)
[6]Les trois mois qui se suivent sont dhu l- qa‘da, dhu l-hijja et al-muharram.
7 La tribu de Mudar se distinguait des autres groupes arabes par son respect de la sacralité de ce mois, et c’est pourquoi on le désignait par son nom : rajab de Mudar
8 Fermeté ne signifie pas violence conjugale. Le Prophète Muhammad (bénédiction et paix sur lui) n’a lui-même jamais frappé de sa main une de ses épouses, et il avait dit : « Ne frappez pas les adoratrices de Dieu. » A ceux qui prétendent donner aux musulmans des leçons sur ce chapitre, nous recommandons d’une part de relire attentivement les paroles du Prophète comprises dans ce sermon d’adieu : elles montrent à l’évidence le caractère universel d’un discours qui rend particulièrement attentif à la condition des femmes et au respect qui leur est dû.