Commentaires Sourate 103
Le Temps (al-‘asr)
3 versets, Pré-hégirienne
Au nom de Dieu, le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux
1) Par le temps !
2) L’homme est certes en perdition.
3) Sauf ceux qui ont cru, et ont accompli les bonnes actions, et se sont recommandé mutuellement la vérité, et se sont recommandé mutuellement la patience.
a) Par le temps ! Al-‘asr : Dieu prête serment par ce terme qui a divers sens : la prière obligatoire réalisée dans l’après-midi ; ou encore la tranche de la journée qui précède le coucher du soleil ; ou encore les premiers temps de la prophétie de Muhammad ; ou encore plus généralement le temps. Yahyâ a dit : « Al-‘asr, c’est le temps (ad-dahr) par lequel Dieu a prêté serment. » (Al-Bukhârî) Ibn ‘Abbâs – que Dieu soit satisfait de lui et de son père – a affirmé pareillement : « C’est le temps (ad-dahr). » (Al-Khazin) Notons la racine de ce mot : ‘asara, qui donne le verbe « presser ». ‘Asîr a le sens de « jus, suc ». L’homme est d’une façon ou d’une autre pressé par le temps qui passe : telle est la condition humaine.
b) L’homme est certes en perdition. Al-insân désigne ici le genre humain. Les individus comme les sociétés qu’il compose évoluent dans le sens de la déchéance physique ou morale. Nos actions, nos efforts et nos vies sont nécessairement limités par le temps. La force qui est celle de l’être humain, comme les biens qu’il amasse sont donc voués à la perdition ou à la passation, et cela est visible pour chacun d’entre nous avec évidence. Ce verset constitue la deuxième partie du serment divin, dans le sens : « Je jure par le temps que l’homme est certes en perdition ! » Certains ont considéré que le mot homme renvoie ici aux seuls négateurs, du fait que les croyants en sont exclus, comme l’indique le verset suivant. (Al-Khazin)
c) Sauf ceux qui ont cru. Seuls échappent à cette déchéance ceux qui remplissent les quatre conditions énumérées dans le troisième verset de cette sourate : Ils sont d’abord croyants. Leur foi leur donne un idéal qui les lie à leur Créateur et à la vie éternelle. Les hommes qui n’ont aucune ouverture sur la transcendance finissent au contraire par s’enfermer dans les limites étroites du matérialisme et de la seule recherche des plaisirs.
d) Et ont accompli les bonnes actions. Deuxième condition : la foi authentique se traduit par un engagement sincère : la pratique de la prière et du culte, le bon comportement moral, l’action au service de la collectivité, le maintien et le respect de la loi divine.
e) Et se sont recommandé mutuellement la vérité. Le mot tawâsa : « se recommander mutuellement quelque chose » est construit sur le paradigme tafâ‘ala : les verbes qui sont formés selon cette structure expriment l’idée d’une interaction entre les sujets. Interaction qui suppose la présence d’une communauté dont les membres comprennent la nécessité de rester liés et de s’encourager mutuellement à vivre selon la vérité, que l’on peut résumer dans le monothéisme et dans la conformité aux exigences de la loi divine. Selon Al-Khâzin, la vérité nous renvoie ici au « Coran et le fait d’agir en conformité avec son contenu. On a dit, ajoute Al-Khâzin, que le mot vérité pouvait avoir le sens de la foi et du monothéisme. »
f) Et se sont recommandé mutuellement la patience. Vivre cependant conformément aux exigences du monothéisme représente une épreuve en climat païen, ou simplement en « climat matérialiste ». Professer le monothéisme, c’est nécessairement se heurter à la plus vive opposition, venant de tous ceux qui remettent en cause la volonté divine pour lui substituer des vues et des systèmes en contradiction avec les normes de la foi. D’où la nécessité de s’encourager mutuellement à la patience, en restant unis à la communauté des croyants. Le mot sabr : « patience, persévérance, constance », s’entend à plusieurs niveaux : La patience dans la réalisation des obligations, comme par exemple la prière. La patience dans le fait de s’écarter des interdictions et des tentations. La patience lorsque l’on est atteint par un malheur. La patience en maîtrisant sa colère et en rendant le bien pour le mal.
Quelques enseignements :
- Il existe deux critères qui permettent de juger de la réussite et de la prospérité de l’être humain : un critère purement matérialiste, qui indique que cette réussite est proportionnelle à la richesse, à la notoriété et à la santé de l’individu. Le fait est cependant que quel que soit l’état de sa caisse, l’homme finira par perdre son bien ou le laisser à ses héritiers. Sa notoriété tombera dans l’oubli et ne lui sera finalement d’aucune utilité, et quant à sa santé, que peut-il attendre, sinon la vieillesse et la mort ? Le deuxième critère est lié à des éléments qui sont beaucoup moins visibles, et que la plupart des hommes négligent parce qu’ils ne considèrent que le caractère apparent de notre vie sur terre : réussir, c’est lié son âme à Dieu dans l’adoration, c’est agir en vue du bien de tous, en cette vie et dans la perspective du retour imminent à Dieu. Comme le disait en substance l’Imam Hassan Al-Bannâ, le temps vaut bien plus que de l’argent. « Le temps, c’est la vie », et chaque instant qui nous échappe emporte une partie de notre existence, qui ne reviendra jamais. Le temps est donc notre bien le plus précieux, que la plupart des hommes gaspillent en pure perte. Or, Dieu prête serment par le temps, ce qui indique sa valeur inestimable. Nous devons donc apprendre à gérer notre temps de façon équilibrée et raisonnable entre nos besoins terrestres, et notre volonté de gagner le Paradis. En ce sens, le Messager de Dieu a dit : « Il y a deux bienfaits par lesquels sont trompés un grand nombre d’hommes : la santé et le temps libre. » (Al-Bukhârî)
- A propos de ces trois versets, l’Imam Ash-Shâfi‘î a dit : « Si Dieu – Exalté soit-Il – n’avait fait descendre sur Ses créatures, en tant qu’argument (déterminant leur responsabilité), que cette sourate, elle leur aurait suffi. » Ce passage résume en effet, en une synthèse remarquable, l’ensemble des éléments qui seuls peuvent assurer le bonheur et le salut des hommes, aux niveaux individuel et communautaire.
- Cette sourate indique que le fait de se soutenir au niveau communautaire est une priorité, au même titre que la foi, la prière et les œuvres cultuelles. Jâbir Ibn ‘Abdi -Llâh – que Dieu soit satisfait de lui et de son père – a affirmé : « J’ai prêté serment d’allégeance au Messager de Dieu, (m’engageant) à accomplir la prière, à donner l’aumône légale (zakât), et à prodiguer les meilleurs conseils à tout musulman. » (Al-Bukhârî, Muslim)
- On remarquera l’unité thématique de cette sourate : après la particule waw introduisant le serment, le premier terme en est « le temps », et le dernier en est « la patience ». Or, cette vertu de la patience ne prend son sens que dans la durée, et elle ne peut s’exercer et se développer que dans le temps.