De retour des territoires occupés, Yamin Makri témoigne.
Nous nous dirigeons vers la mosquée pour effectuer la prière du matin, le soleil ne s'est pas encore levé.
Nous pressons le pas, un peu nerveux. Nous sommes proches de la ligne de front.
L'occupant est à moins d'un kilomètre et nous marchons dans un quartier considéré sensible, où il y a régulièrement des incursions.
Les impacts de balles sur la façade du lieu de prière et le minaret en partie détruit confirment bien qu'il y a eu, ici même, de violents combats.
Pendant que je me déchausse afin de rejoindre les rangs des priants, j'aperçois, parmi eux, ceux qu'on surnomme les "mourabitoun", ce sont les gardes civils gazaouis.
En fait, ce sont de simples citoyens palestiniens - professions libérales, étudiants, commerçants - qui se portent volontaires pour effectuer des tours de garde afin de prévenir les incursions des forces occupantes.
Certains "mourabitoun" portent des cagoules, car les indicateurs sont assez présents dans ces quartiers limitrophes. À Gaza, beaucoup ont une vie le jour et une autre la nuit.
Mon voisin de prière, lui, ne porte pas de cagoule. Son arme est posée face à lui, à même le sol. Durant la prière, je le sentais très calme, posé, serein.
Moi, je ne l'étais pas. Je ne pouvais pas m'empêcher de détacher mes yeux de cette arme pendant que l'imam psalmodiait des versets coraniques. Sa voix était belle, elle m'emportait. Tout le contraire de cette "machine à tuer" que je ne regardais plus pour mieux me concentrer dans ma prière.
J'aurais voulu que l'imam ne s'arrêtât plus ; ces petits moments de bonheur sont si rares et tellement intenses.
Mais la prière se termina et l'imam prit la parole. Nous n'étions pas nombreux et je devinais bien que son discours était d'abord adressé à ceux qui, comme mon voisin, avaient passé une nuit entière à monter la garde aux frontières :
- "Sachez, mes chers frères, que cette nuit que vous avez sacrifiée pour protéger les vôtres ne vous sera d'aucune utilité devant le Très-Haut si vous ne prenez pas en compte deux éléments. Ce sont ces deux éléments fondamentaux qui valident le bien-fondé de vos efforts et de votre dévouement..."
Il avait réussi à capter mon attention et celle de toute l'assemblée d'ailleurs. C'était son éloquence certainement, mais pas seulement. C'était surtout l'intensité du moment qui rendait ses paroles aussi solennelles.
Il parlait à des personnes qui venaient de mettre leur vie en péril, qui aurait pu tuer ou être tuées. Ce n'était pas rien. La rhétorique et l'éloquence habituelles chez beaucoup de nos prêcheurs ne pouvaient suffire. Son discours ne pouvait être creux et il ne l'était pas :
- "Je vous en conjure, retenez-les bien et mettez-les en pratique. Le premier de ces éléments est la sincérité (al-ikhlas), car toute action humaine est précédée d'un élan du cœur. La violence et l'acharnement de l'ennemi ne vous donnent pas le droit de vous désintéresser de l'état de vos cœurs. Préservez vos cœurs, ayez une intention sincère vouée exclusivement au Très-Miséricordieux. Ni la haine, ni la vengeance, ni la recherche de la gloire ne doivent entacher vos motivations.
Le second élément est essentiel dans notre résistance, car sa réalisation va vous permettre de vérifier votre sincérité et de valider la pureté de votre intention. Et vous le savez bien, sans sincérité, toutes nos actions sont vaines.
Ce second élément est la persévérance (ath-thabât). Celui qui agit pour satisfaire son ego ou pour sa gloire personnelle manquera de constance, il se perdra et il perdra le sens de sa Résistance. Celui qui agit par le seul souci de vengeance, n'agira que dans la passion, il altéra son intention et son combat.
Vous qui résistez à l'ennemi extérieur, n'oubliez jamais de combattre votre ennemi intérieur. Préservez vos cœurs. Car sachez que votre force ne réside pas dans la puissance de vos armes, mais dans le rayonnement de vos cœurs."
Je sortis le premier de la mosquée. Son discours m'avait bouleversé et je cachais mal mon émotion. Je restais devant la mosquée, seul. Il faisait jour et je regardais le ciel, pensif.
Mon voisin de prière m'avait suivi, toujours avec son arme en bandoulière. Il avait deviné mon émotion. Il me prit le bras et il pointa du doigt l'horizon en direction des territoires encore occupés :
- "Tu vois, là-bas ?"
Je scrutais l'horizon, effectivement il y avait quelque chose.
Et il reprit :
- "C'est un ballon dirigeable, ils nous épient en permanence. Leur matériel est si sophistiqué qu'ils pourraient même voir si mon arme est chargée ou pas. Mais ils ne comprennent pas que ce n'est pas avec ça que nous nous battons, dit-il en me montrant son arme. Tout se passe là, dit-il en se tapotant la poitrine."
Je regardai l'horizon, puis je fixai le ballon dirigeable. Un matériel assez sophistiqué pour observer les armes qu'ils utilisent, mais pas assez pour comprendre cette force intérieure qui les anime.
Comment peut-on être aussi aveugle ?