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Contre un humanisme sélectif


Choisir la période estivale pour mener des raids inhumains sur Gaza n’est certainement pas le fait du hasard : pendant plus de 40 jours, Tsahal a pu commettre les pires atrocités sans rencontrer d’obstacle.

En parallèle, les milices chrétiennes anti-balaka font subir de terribles sévices aux musulmans de la Centrafrique, sans que cela n’entraîne un grand élan d’émotion en faveur de femmes et d’hommes qui restent, je tiens à le signaler, des êtres vivants qui appartiennent à l’espèce humaine…

Et voici à présent, au moment où la période de vacances se termine, au moment où l’on se rattache à la vie active aussi par le vecteur de l’actualité oubliée pendant un mois, voici  que des événements inespérés vont permettre à nos journalistes de se focaliser sur l’horreur absolue attribuée à qui, je vous le demande ? – à des « djihadistes » de service, égarés ou manipulés, qui agissent en flagrante contradiction avec les préceptes de l’Islam. Peu importe : le scénario d’une mise à mort, hélas bien réelle !, va permettre d’effacer les terribles tragédies vécues par les Palestiniens, les Syriens, les Centrafricains. Et nous pourrions aussi évoquer le triste sort des musulmans de Birmanie et du Xinjiang.

Autant il convient de dénoncer les actes ignobles commis contre les minorités en Irak en général, et l’assassinat odieux de James Foley en particulier, autant il incombe à chacun, par probité intellectuelle, mais aussi au nom du respect de la dignité humaine, de ne pas faire du meurtre d’un journaliste l’arbre qui cache la forêt de tueries innommables, se traduisant par la mort de centaines de milliers d’innocents.

Gaza, c’est à l’heure où j’écris ses lignes :  plus de 2000 morts, dont près de 500 enfants, plus de 10 000 blessés, la destruction de 11 000 mille maisons, de 215 mosquées, de six hôpitaux, de 141 écoles, de  4 universités, et du seul centre de production d’électricité. 

La Syrie ? D'après l'ONU, le chiffre de plus de 191.000 morts comptabilisés est sans doute une sous-estimation. Le plus grand nombre de meurtres documentés par l'ONU ont été enregistrés « dans le gouvernorat de la périphérie rurale de Damas (39.393), suivi d'Alep (31.932), Homs (28.186), Idlib (20.040), Daraa (18.539) et Hama (14.690) (….) Les décès de 8.803 mineurs, dont 2.165 enfants de moins de dix ans, ont été rapportés à ce stade, mais leur nombre réel est probablement plus élevé, étant donné que l'âge des victimes n'est pas documenté dans l'immense majorité des cas. »

La Centrafrique ? Depuis une année, l’alarme avait été donnée pour signaler le bain de sang auquel était exposée la population musulmane : des milices chrétiennes ont semé la terreur parmi les civils, les contraignant à fuir leur pays natal. Le conflit a fait des milliers de morts et près d’1,5 million de déplacés.

Tous ces crimes ont été perpétrés sans que la communauté des civilisés ne bouge pour les empêcher vraiment. Alors, oui, toute notre sympathie et notre solidarité vont à la famille, aux collègues et aux amis de James Foley, ainsi que de tout journaliste mort dans l’exercice de sa noble fonction. Mais les autres – les anonymes qui par milliers sont emportés dans le gouffre de la folie humaine – méritent aussi notre compassion, n’est-ce pas ?

Hani Ramadan

Le Temps, Débat, 29 août 2014

La Tribune de Genève, L'invité, 30-31 août 2014

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